Responsabilité contractuelle

Action en responsabilité contractuelle et interruption du délai de prescription

Publié le : 15/06/2020 15 juin juin 06 2020

Les relations entre maître d’ouvrage et constructeurs sont régies par des prescriptions différentes soit spéciales soit de droit commun. Et lorsqu’un constructeur recherche la responsabilité d’un autre constructeur le régime est différent.

Chaque espèce doit donner lieu à une analyse de l’action engagée et de l’époque à laquelle elle a été engagée. Ce qui conditionnera le régime, la durée, l’interruption et la suspension de ladite prescription.

En la matière vient à l’esprit la fameuse « responsabilité décennale » (ou biennale) puis celle de bref délai. Mais le droit commun a aussi sa place dans le cadre d’une action contractuelle.

Doivent donc rentrer en ligne de compte pour savoir quel régime s’applique la nature de l’action, son délai, son interruption ou suspension et quel opérateur en bénéficie ou lui est opposable.

C’est l’analyse faite par la 3° Chambre Civile de la Cour de Cassation dans un arrêt du 19 mars 2020, n° 19-13459 à la publication étendue FS-P+B+R+I dans une affaire où le maître d’ouvrage avait assigné en référé-expertise l’entreprise choisie et celle à laquelle cette dernière avait confié les travaux.

Un expert avait été désigné et déposé son rapport ; entre temps le maître de l’ouvrage et le constructeur avaient transigé. Cependant l’entrepreneur avait assigné en réparation de son préjudice l’entreprise choisie par lui. Cette assignation datant de plus de cinq ans après le dépôt du rapport la prescription avait été soulevée mais non retenue par la Cour d’appel.

La cour de cassation casse la décision en retenant que l’interruption de la prescription dont le maître d’ouvrage bénéficiait du fait de son action en référé, et la suspension résultant de l’ordonnance nommant expert, ne pouvaient bénéficier à l’entrepreneur principal et que la prescription quinquennale était acquise.
 

I – La nature de l’action :

En matière de construction le contrat est la base entre le maître de l’ouvrage et le maître d’œuvre ainsi que les entreprises. Donc la logique veut que l’action soit contractuelle entre les parties. Le droit de la construction connaît pourtant d’autres rapports quasi-délictuels pour des dommages causés aux tiers par le chantier au cours de celui-ci ou les inconvénients anormaux de voisinage causés par la construction. 

Mais d’autres opérateurs sans lien avec le maître de l’ouvrage interviennent souvent comme des bureaux d’études requis par l’architecte, des entreprises pour des marchés particuliers confiés par l’entreprise principale (pas forcément sous-traitants).  A ce moment-là pour le maître de l’ouvrage ce sont des tiers avec lesquels il n’est pas lié directement sauf à les avoir acceptés formellement dans le contrat général d’entreprises.

Dans les rapports entre le maître d’œuvre et les entreprises ou les entreprises et leurs sous-traitants nous restons dans le cadre contractuel.

Pour autant la responsabilité contractuelle est transformée en une sorte de responsabilité légale à partir du moment où la réception tacite, expresse ou judiciaire des travaux est prononcée ou constatée. Il s’agit d’un délai d’épreuve de l’ouvrage qui varie selon l’importance et la nature du désordre.

Avant cette réception on est dans les rapports contractuels de droit commun à qui le régime de la prescription de droit commun devrait s’appliquer entre les parties aux contrats de maîtrise d’œuvre et d’entreprises.

Dans l’arrêt commenté d’une part la réception n’est pas prononcée, d’autre part le litige concerne seulement l’entrepreneur principal et celui à qui il a confié les travaux à sa place, lequel n’a de rapports qu’avec lui.

Dans le cas d’un différend né avant récipient la Cour de cassation avait déjà affirmé cette application du droit commun (le 24 mai 2006 3° ch. N° 04-19-716).

C’est ce que retient l’arrêt commenté qui prend en compte comme fondement de l’action la responsabilité contractuelle seule pouvant être mise en jeu avant la réception conventionnelle, judiciaire ou tacite des travaux.
 

II – Le délai de prescription :

Le réflexe pavlovien du juriste débutant ou du commun des mortels est de mettre en avant les prescriptions légales (la fameuse, trop fameuse ?) décennale (article 1794-4-1, 1794-4-2 et 1794-4-3 du code civil puis la biennale (article 1792-3 du même code) voire même les biennales en rajoutant l’action pour vices cachés de l’article 1648 du code civil.

Et pourtant la prescription quinquennale de droit commun introduite par la loi du 13 juin 2008 promulguée pour raccourcir le délai d’oubli et unifier (en principe) les prescriptions continue à s’appliquer en la matière à défaut de prescription particulière. 

C’est le cas dans les rapports avant la réception des travaux ; c’est le cas dans les rapports entre opérateurs et sous-opérateurs non liés directement au maître d’ouvrage.  Ce qui est le cas dans l’arrêt qui nous intéresse.       

Celui-ci retient en effet que les rapports entre l’entrepreneur principal objet d’une procédure du maitre de l’ouvrage originaire et l’entreprise avec laquelle il a traité comme maître de l’ouvrage lui-même pour la réalisation des travaux de VRD sont contractuels de droit commun et ne ressortent pas du droit spécial de la construction étant entendu que la réception n’a pas eu lieu non plus entre eux.         

De ce fait il retient la prescription de l’article 2224 du code civil et de l’article L. 110-4 du code de commerce (les deux prescriptions civiles et commerciales étant identiques depuis la loi du 13 juin 2008 précitée) limitée à cinq ans. La Cour d’appel est donc confirmée sur ce point. 

La  confirmation porte aussi sur le point de départ de la prescription de l’action : c’est le jour où le demandeur a eu connaissance du désordre ou aurait du en avoir connaissance (toujours article 2224 précité du code civil). C’est le droit commun qui se heurte au rapport de la preuve de la connaissance du fait dommageable par la « victime ». 

Convergence encore entre la Cour d’appel et la Cour de cassation qui retiennent que le point de départ de la prescription est l’assignation en référé délivrée à la requête du maître de l’ouvrage contre le constructeur et l’entreprise de VRD. Une ordonnance avait été rendue qui, nommait expert lequel a déposé rapport.
 

III – L’interruption de la prescription

Mais la divergence va résider dans le jeu de l’interruption de ladite prescription.         

En effet le maître de l’ouvrage principal ayant transigé avec l’entrepreneur principal ce dernier va assigner comme maitre d’ouvrage des VRD l’entreprise réalisatrice plus de cinq ans après la délivrance de la citation en référé.       

La Cour d’appel retient son argumentation prétendant que la prescription avait été interrompue par la citation en référé et que le délai avait été suspendu pendant les opérations de consultation jusqu’au dépôt du rapport. Et elle condamne l’entreprise de VRD à indemniser son cocontractant.

La cour de cassation casse sèchement sans renvoi l’arrêt. Elle affirme que la prescription n’a pu être interrompue par une citation délivrée par le maître de l’ouvrage principal dirigé contre les deux entreprises au motif que seul lui pouvait bénéficier de cette interruption puisque seul ce lien contractuel avait été affecté et concerné par l’instance.

En somme selon la Haute juridiction le défendeur premier, constructeur ne pouvait bénéficier dans ses rapports avec son propre co-contractant (non lié contractuellement au demandeur principal) de l’interruption.

Le recours entre codéfendeurs ne bénéficie pas des interruptions et suspensions attachées à l’action principale (déjà jugé par la 2°civ. le 23 novembre 2017, n° 16-13239) pour la prescription et le 31 janvier 2019, n° 18-1011 pour la suspension.

L’attention des professionnels doit donc se porter en la matière non seulement sur la nature de l’action contractuelle ou quasi-délictuelle, sur le fait qu’il y ait ou non réception de l’ouvrage, sur la durée de la prescription, sur l’interruption et la suspension éventuelle de celles-ci mais surtout sur le bénéficiaire de celles-ci. Un entrepreneur principal qui contracte avec un autre une partie des travaux ne bénéficie pas de l’interruption obtenue par le maitre de l’ouvrage qui engage un référé et obtient une mesure d’instruction par un technicien.

Sauf à faire étendre la mesure à ce co-contractant dans un but de demander plus tard réparation.



Cet article n'engage que son auteur.
 

Auteur

PROVANSAL Alain
Avocat Honoraire
Eklar Avocats
MARSEILLE (13)
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