Collectivités publiques et gestion du personnel
Publié le :
24/09/2007
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Les relations employé/employeur sont également appréhendées par le droit au sein des collectivités publiques. Il s’agit du droit de la fonction publique. L’une des questions qui se pose fréquemment aux collectivités en cette matière, et qui nourrit le contentieux, concerne le retrait des décisions individuelles qu’elles peuvent être amenées à édicter.
La problématique
La problématique est la suivante : une collectivité publique a édicté (décision explicite) ou a fait naître par son silence ou son attitude (décision implicite), une décision individuelle qui crée des droits au profit de l’un de ses agents (1). Elle souhaite revenir sur cette décision. Dans quelle mesure ce retrait (disparition rétroactive de l’acte (2)) est-il possible ?
L’état du droit, en la matière, a sensiblement évolué ces dernières années et il est sans doute encore appelé à évoluer. Les règles qui s’appliquent sont en effet la traduction d’un compromis difficile à trouver entre, d’une part, le respect du principe de légalité des actes administratifs (un acte illégal doit être retiré) et, d’autre part, le souci de sécurité juridique (l’acte en question crée des droits au profit de son bénéficiaire).
Aujourd’hui, pour schématiser, deux conditions de fond sont nécessaires pour qu’une collectivité publique puisse valablement retirer une décision individuelle créatrice de droits.
En premier lieu, la décision retirée doit être illégale. On peut noter, à cet égard, qu’au titre de l’obligation de motivation qui pèse sur elle (3), la collectivité publique est tenue, dans la décision de retrait, d’exposer en quoi la décision retirée est illégale.
En second lieu, le retrait doit être effectué dans un délai déterminé. C’est le point d’équilibre entre le respect du principe de légalité des actes administratifs et le souci de sécurité juridique.
Précisions concernant ces deux conditions
S’il s’agit d’une décision individuelle explicite créatrice de droits, sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration dispose d’un délai de quatre mois suivant la prise de cette décision pour la rapporter, en application de la désormais célèbre jurisprudence du Conseil d’Etat « M.Ternon » (4).
S’il s’agit d’une décision individuelle implicite créatrice de droits (5), l'administration dispose d’un délai de deux mois pour la retirer, soit à compter de la date à laquelle est intervenue la décision lorsqu’aucune mesure d’information des tiers n’a été mise en oeuvre, soit dans le délai de recours contentieux lorsque des mesures d’information des tiers ont été mises en œuvre ou encore pendant toute la durée de l’instance lorsqu’un recours contentieux a été formé (6).
Passés ces délais, une décision administrative, bien qu’illégale, ne peut être rapportée.
Exceptions et évolutions
Cette condition de délai ne vaut pas pour les décisions qui ne sont pas créatrices de droit. C’est le cas, par exemple, des décisions qui ont un simple caractère recognitif , des décisions obtenues par la fraude… Les règles de retrait ne leur sont pas applicables. Ces décisions peuvent être retirées à tout moment.
Un sort particulier a été réservé, pendant longtemps, aux décisions purement pécuniaires, qui concernent un nombre important de situations dans le droit de la fonction publique (traitement, prime, indemnité…). Ces décisions étaient considérées comme revêtant un simple caractère recognitif (7) (voir supra). L’état du droit a toutefois changé. Depuis un arrêt du Conseil d’Etat « Mme Soulier » (8), les décisions accordant un avantage financier sont créatrices de droit quand bien même l’Administration avait l’obligation de refuser cet avantage. Elles sont donc soumises au régime du retrait exposé plus haut. Les simples erreurs de liquidation, en revanche, ne sont pas des décisions créatrices de droit. Elles échappent aux règles de retrait et peuvent donner lieu en tout temps à une demande de reversement de trop-perçu.
En ce qui concerne la rémunération des fonctionnaires, la jurisprudence a eu l’occasion de préciser que « doit être assimilée à une décision explicite accordant un avantage financier celle qui, sans avoir été formalisée, est révélée par des agissements ultérieurs ayant pour objet d'en assurer l'exécution tels que le versement à l'intéressé de sommes apparaissant sur son bulletin de paye ». Le juge administratif censure ainsi la décision prise, en méconnaissance du délai de quatre mois, de procéder au recouvrement d’indemnités versées indûment à un fonctionnaire pendant plusieurs années (9).
Ce régime juridique, brièvement exposé, montre combien les collectivités doivent être vigilantes dans la gestion de leurs ressources humaines, afin de ne pas méconnaître les règles de retrait et de ne pas s’exposer à un contentieux qui peut être lourd de conséquences pour elles.
La vigilance des collectivités s'impose
Leur vigilance doit d’autant plus être accrue que les situations de retrait sont parfois difficiles à déceler et que des collectivités peuvent, sans en avoir conscience, se placer sous ce régime juridique particulier. En effet, l’hypothèse du retrait concerne des situations dans lesquelles une collectivité édicte une décision qui procède expressément au retrait d’une autre décision. Mais elle vise aussi celles dans lesquelles une collectivité prend un acte qui, sans se présenter comme une décision de retrait, a le même effet (10).
L’attention des collectivités publiques doit aussi être attirée sur la diversité et l’étendue des hypothèses de retrait dans le droit de la fonction publique. Tous les pans de ce droit sont concernés : accès à la fonction publique, carrière de l’agent, cessation des fonctions…
A titre d’exemple, le Tribunal administratif de Rennes a annulé, au motif qu’elle ne respectait pas le délai de retrait de quatre mois, la décision d’un département requalifiant en congés de maladie ordinaire les arrêts de travail d’un agent que ce même département avait considéré antérieurement comme des congés de maladie pour accident de service (11). Au même motif, le juge administratif : a fait droit à la demande d’un agent non titulaire tendant à la décharge d’un trop-perçu correspondant au complément de rémunération, représentant 10 % de son traitement brut, qu’une collectivité lui avait accordé chaque mois, pendant trois années (12) ; a annulé la délibération d’un Conseil municipal approuvant le recouvrement d'une somme correspondant au montant des frais de consommation électrique de la maison de l’ancien secrétaire général des services supportés par la commune pendant quinze années (13) ; a annulé la décision emportant retrait d’un arrêté de nomination d’un agent (14)… Cette liste d’exemples pourrait être complétée.
Références
(1) Sont visés ici les fonctionnaires et les agents publics uniquement.
(2) Le retrait des actes administratifs (disparition rétroactive d’un acte) doit être distingué de l’abrogation des actes administratifs (disparition de l’acte pour l’avenir) qui n’est pas traitée ici.
(3) Article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public.
(4) CE, 26 octobre 2001, « M. Ternon », n°197018.
(5) Sont visées ici uniquement les décisions implicites d’acceptation.
(6) Article 23 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
(7) Il s’agit des décisions qui ne font « que reconnaître une situation déterminée ou l’existence et l’étendue de droits préexistants, sans que leur auteur dispose d’un quelconque pouvoir d’appréciation », R. CHAPUS, Droit administratif général, tome 1, 10ème édition, page 1064.
(8) CE sect., 6 novembre 2002, « Mme SOULIER », Lebon, p. 369.
(9) CAA Bordeaux, 1er décembre 2005, n° 02BX01489.
(10) Ceci pourrait être le cas lorsqu’une collectivité place un agent, dans un premier temps, en congés de maladie pour accident de service, avant de le placer, dans un second temps et de manière rétroactive, en congés de maladie ordinaire.
(11) TA Rennes, 21 juin 2007, n° 0404726.
(12) CAA Lyon, 12 juin 2007, n° 03LY00405.
(13) CAA Nancy, 24 juin 2004, n° 99NC01741.
(14) CAA Versailles, 29 septembre 2006, n° 05VE00944.
Delphine GOUIN-POIRIER, avocate
Jean-François ROUHAUD, juriste
DRUAIS-MICHEL & LAHALLE Avocats
EUROJURIS France
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
LEXCAP RENNES – DRUAIS LAHALLE DERVILLERS & ROUHAUD
Cabinet(s)
RENNES (35)
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