Demande de réparation pour harcèlement moral et juge administratif

Demande de réparation pour harcèlement moral et juge administratif

Publié le : 01/09/2011 01 septembre sept. 09 2011

L’arrêt rendu le 11 juillet 2011 aménage la charge de la preuve, qui incombait presque exclusivement jusqu’alors à l’agent public demandeur, en vue de rétablir une égalité de traitement des personnes au procès.

La charge de la preuve lorsque le juge administratif est saisi par un agent public d’une demande de réparation pour harcèlement moral


En droit privé, la preuve du harcèlement moral est aménagée puisque le salarié doit établir des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral (témoignages, attestations, certificats médicaux, etc…).

A cela, l’employeur mis en cause doit prouver que les agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que les décisions ou actes reprochés sont justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement.

Devant le juge administratif, engager la responsabilité de l’administration pour harcèlement moral relève du régime classique de la responsabilité pour faute.

En d’autres termes, pour engager la responsabilité administrative, l’agent demandeur à l’action devait rapporter la preuve de la faute commise par l’administration ; les faits constitutifs du harcèlement moral.

C’est donc entièrement sur l’agent demandeur que reposait la charge de la preuve, ce qui en cette matière est particulièrement délicat.

Comme dans le régime de responsabilité pour faute, la faute de la victime, et donc de l’agent, était une cause de réduction voire d’exonération partielle ou totale de la responsabilité de l’administration, de la réparation du préjudice mis à la charge de l’administration.

Par un arrêt de la Section du contentieux du 11 juillet 2011 n°321225, le Conseil d’Etat revient sur cette jurisprudence en répartissant davantage la charge de la preuve, à l’image de ce qui existe en matière prud’homale, mais également en considérant que la faute de l’agent ne peut exonérer l’administration en présence d’un harcèlement moral.


1) La nouvelle répartition de la charge de la preuve

Le Conseil d’Etat expose : « Considérant, d’une part, qu’il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ; qu’il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile ; »

Certes, l’agent doit toujours apporter des éléments de nature à démontrer qu’il est victime d’un harcèlement moral.

Ce qui est nouveau, c’est qu’il lui incombe d’établir une présomption de harcèlement moral et que l’administration doit désormais apporter différents éléments pour inverser cette présomption. Le Conseil d’Etat explique que le juge appréciera au regard des échanges contradictoires et non plus seulement, comme cela pouvait être régulièrement le cas, au regard des seuls éléments produits par l’agent demandeur.

Il s’agit donc d’une évolution qui impose à l’administration d’apporter une réponse aux arguments du demandeur.

Auparavant, eu égard à la difficulté pour l’agent de récolter des attestations et des témoignages, l’administration pouvait être tentée de ne pas apporter de réponse et pouvait se contenter d’exposer en défense que l’agent n’apportait aucun élément établissant un harcèlement moral.

Cet arrêt du Conseil d’Etat réalise donc un rapprochement avec la jurisprudence judiciaire en la matière.

Le Conseil d’Etat, et c’est là un point très important, transpose au harcèlement moral les règles de charge de la preuve qu’il avait déjà posé par l’arrêt d’Assemblée du 30 octobre 2009 (n°298 348 Madame PERREUX) en matière de discrimination :

« Considérant toutefois que, de manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tout les éléments d’appréciation de nature à établir sa conviction ; que cette responsabilité doit, dès lors qu’il est soutenu qu’une mesure a pu être empreinte de discrimination, s’exercer en tenant compte des difficultés propres à l’administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s’attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l’égalité de traitement des personnes ; que, s’il appartient au requérant qui s’estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tout ceux permettant d’établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu’en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d’instruction utile ; »

L’arrêt rendu le 11 juillet 2011 aménage donc la charge de la preuve, qui incombait presque exclusivement jusqu’alors à l’agent public demandeur, en vue de rétablir une égalité de traitement des personnes au procès.

Le second apport de l’arrêt est relatif à l’appréciation même du harcèlement par le juge administratif.


2) Le comportement de l’agent, désormais pris en compte dans l’appréciation du harcèlement moral

- Le Conseil d’Etat précise « Considérant, d’autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêt un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral ; (…)»

Il ressort de ce considérant que le comportement de l’agent n’est plus apprécié au moment de la réparation du préjudice mais lors de l’appréciation de la faute reprochée à l’administration.

Désormais les agissements de l’agent, son comportement, son absence d’obéissance hiérarchique par exemple, permettront au juge administratif de considérer que les faits reprochés à l’administration ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral.

Le juge mettra donc en balance les faits incriminés et l’attitude de l’agent de sorte que, même si les règles de la preuve sont aménagées en faveur de l’agent, le harcèlement moral sera peut-être plus difficilement admis.

Il sera rappelé que sont qualifiés de faits constitutifs de harcèlement moral les agissements répétés ayant pour objectif de provoquer une dégradation des conditions de travail portant atteinte aux droits du fonctionnaire et à sa dignité, engendrant des conséquences sur la santé physique ou mentale de l’agent et compromettant son évolution professionnelle (Conseil d’Etat 24 novembre 2006 n° 256 313 Madame BAILLET).

- Dans la mesure où le comportement de l’agent est désormais pris en compte lors de la qualification de la faute administrative, l’administration ne pourra plus l’invoquer en tant que cause exonératoire de sa responsabilité.

Le Conseil d’Etat expose ainsi « qu’en revanche, la nature même des agissements en cause exclue, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établi, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé ; »

La règle est désormais très simple : si l’administration a commis un harcèlement moral à l’encontre de l’un de ses agents, ce dernier a droit à la réparation intégrale de son préjudice.

- L’arrêt du Conseil d’Etat applique ensuite cette évolution jurisprudentielle au fait de l’espèce.

La Cour administrative d’appel de Nantes avait considéré que les faits étaient constitutifs de harcèlement moral mais que l’attitude de l’agent était telle qu’elle était de nature à exonérer la Commune de sa responsabilité.

Censuré pour erreur de droit, le Conseil d’Etat retient pour sa part que « les éléments de fait produits par Madame M sont susceptibles de faire présumer l’existence d’agissements constitutifs d’un harcèlement moral à son encontre ; que cependant (…) l’attitude de cette dernière se caractérisait par des difficultés relationnelles avec ses collègues et avec les élus, des refus d’obéissance aux instructions qui lui étaient données et une attitude agressive, qui a par ailleurs valu à l’intéressée la sanction prononcée à son encontre (…) que, dans ces conditions, c’est à tort que les premiers juges ont estimés que les agissements de la secrétaire générale vis-à-vis de Madame M ont excédé les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique au point de pouvoir être qualifiés de harcèlement moral ; »

Eu égard à l’attitude de l’agent, aucune faute n’a été imputée à l’administration c’est-à-dire que le comportement de l’agent ne permet pas de considérer que l’administration a réalisé un harcèlement moral.

L’appréciation du harcèlement moral prenant désormais en compte le comportement et l’attitude de l’agent, il sera intéressant de surveiller les premières décisions jurisprudentielles reconnaissant un harcèlement moral à la charge de l’administration.



Cet article a été rédigé par Anne MEUNIER



Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © antoinemonat- Fotolia.com

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