L’arrêté du 9 mai 2006 relatif aux nutriments pouvant être employés dans les compléments alimentaires : une nouvelle contestation en cours
Publié le :
29/10/2015
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Jusqu’en 2006, la seule réglementation applicable aux compléments alimentaires était d’origine communautaire et se composait de la Directive n°2002/46 du 10 juin 2002 et des arrêts de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 5 février 2004, dans les affaires C-95/01 et C-24/00.Le décret n°2006-352 du 20 mars 2006 a transposé en droit français cette Directive et donné un statut réglementaire aux compléments alimentaires.
Il s’avère ainsi qu’au terme des dispositions de l’article 16 du décret, tout opérateur économique doit déclarer la mise sur le marché des produits en indiquant s’ils sont commercialisés dans d’autres Etats membres.
Après vérification des justificatifs produits, la DGCCRF autorise, expressément ou implicitement, la commercialisation des compléments alimentaires.
S’agissant particulièrement des vitamines et minéraux, l’arrêté du 9 mai 2006 fournit une liste des substances pouvant être employées dans les compléments alimentaires, ainsi que les dosages requis.
La question de la conformité de ce texte au regard des exigences communautaires s’est rapidement posée, tant s’agissant de la détermination des substances autorisées que, surtout, des dosages retenues par le pouvoir réglementaire.
En effet, il s’avérait que les dosages étaient manifestement inférieurs à ceux retenus dans d’autres Etats membres de l’Union Européenne, créant alors un risque d’entrave au commerce intra-communautaire.
L’arrêté a ainsi fait l’objet d’une contestation contentieuse devant le Conseil d’Etat.
Par un arrêt en date du 17 décembre 2007 le Conseil d’Etat a reconnu qu’un doute sérieux existait sur la légalité de l’arrêté du 9 mai 2006.
Il a ainsi décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), sur le fondement de l’article 234 du Traité CE (Conseil d’Etat, 17 décembre 2007, 295235).
La CJUE a rendu son arrêt le 29 avril 2010 (aff. C-446/08) aux termes duquel elle a indiqué que :
« 1°) La directive 2002/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 juin 2002, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les compléments alimentaires, doit être interprétée en ce sens que, sans préjudice du traité CE, les États membres demeurent compétents pour adopter une réglementation relative aux quantités maximales de vitamines et de minéraux pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires tant que la Commission européenne n’a pas arrêté ces quantités conformément à l’article 5, paragraphe 4, de cette directive.
2°)Outre l’obligation de respecter les articles 28 CE et 30 CE, les États membres sont également tenus de s’inspirer des éléments figurant à l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 2002/46, y compris l’exigence d’une évaluation des risques fondée sur des données scientifiques généralement admises, pour fixer les quantités maximales de vitamines et de minéraux pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires en attendant que la Commission européenne arrête ces quantités au titre du paragraphe 4 dudit article 5.
3°) La directive 2002/46 doit être interprétée en ce sens que, dans une situation, telle que celle au principal, où, lors de la fixation de la quantité maximale d’un minéral pouvant être utilisée pour la fabrication de compléments alimentaires, il est impossible de chiffrer avec précision les apports de ce minéral provenant d’autres sources alimentaires, et tant que la Commission européenne n’a pas arrêté les quantités maximales de vitamines et de minéraux pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires conformément à l’article 5, paragraphe 4, de cette directive, un État membre peut, s’il existe un risque avéré que ces apports atteignent la limite supérieure de sécurité établie pour le minéral en question et à condition de respecter les articles 28 CE et 30 CE, fixer ladite quantité maximale à une valeur nulle sans recourir à la procédure prévue à l’article 12 de cette même directive.
4°) L’article 5 de la directive 2002/46 doit être interprété en ce sens que la circonstance qu’un étiquetage adapté pourrait dissuader le groupe de consommateurs auquel il s’adresse de recourir à un nutriment bénéfique pour lui à faible dose ne constitue pas un élément pertinent pour fixer les quantités maximales de vitamines et de minéraux pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires. La prise en compte de la différence des niveaux de sensibilité de différents groupes de consommateurs ne saurait permettre à un État membre d’appliquer à l’ensemble de la population une telle quantité maximale adaptée à un groupe de consommateurs spécifique, tel que celui des enfants, que si cette mesure est limitée à ce qui est nécessaire pour assurer la protection de la santé des personnes appartenant à ce groupe et si ladite mesure est proportionnée à l’objectif qu’elle poursuit, celui-ci ne pouvant pas être atteint par des mesures moins restrictives des échanges à l’intérieur de l’Union européenne, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
5°) La directive 2002/46 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à la fixation de quantités maximales de vitamines et de minéraux pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires lorsque, en l’absence de danger avéré pour la santé des personnes, des limites supérieures de sécurité n’ont pas été établies pour ces vitamines et ces minéraux, à moins qu’une telle mesure ne soit justifiée en vertu du principe de précaution, si une évaluation scientifique des risques révèle qu’une incertitude persiste quant à l’existence ou à la portée de risques réels pour la santé. Après que ces limites supérieures de sécurité ont été établies, la possibilité de fixer de telles quantités maximales à un niveau sensiblement inférieur à celui desdites limites ne saurait être exclue dès lors que la fixation de ces quantités maximales peut être justifiée par la prise en compte des éléments figurant à l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 2002/46 et qu’elle est conforme au principe de proportionnalité. Cette appréciation incombe à la juridiction de renvoi et doit être effectuée au cas par cas ».
Finalement, par un arrêt en date du 27 avril 2011, le Conseil d’Etat a prononcé une annulation partielle s’agissant des vitamines K, B1, B2, B5, B8 et B12 (CE, 27 avril 2011, n°295235).
Ce contentieux porté au plus haut niveau de la juridiction administrative a eu des conséquences sur l’activité des opérateurs économiques :
- Soit dans le cadre des contestations engagées devant les juridictions administratives à l’encontre des refus opposés par la DGGRF au visa de l’arrêté du 9 mai 2006,
- Soit dans le cadre de poursuites pénales engagées par la DGCCRF pour la commercialisation de compléments alimentaires non conformes à l’arrêté.
Pour autant, de nombreux opérateurs ont continué à soutenir que l’arrêté du 9 mai 2006, tel que validé partiellement par le Conseil d’Etat, n’était pas exempt de tout reproche dès lors que la question de sa légalité, au regard du droit communautaire, n’avait pas été totalement tranchée par cette décision soit en raison de questions non soumises à la CJUE, soit en raison d’une interprétation qui paraît divergente de celle de la juridiction communautaire.
1°) Ainsi et tout d’abord, il convient de rappeler que le mécanisme mis en place pour la commercialisation des compléments alimentaires par le décret du 20 mars 2006 contient, en son article 16, une procédure allégée dite de reconnaissance mutuelle.
Elle permet à un opérateur économique de se prévaloir de l’autorisation de commercialisation du produit dans un autre Etat membre pour être dispensé de produire un dossier scientifique et technique particulièrement contraignant (article 17 du même décret).
La mise en place de cette procédure semble répondre aux griefs formulés par la Commission européenne et aux arrêts rendus par la CJUE le 5 février 2004 dans les affaires n° C-95/01 et C-24/00.
Toutefois et ainsi que le gouvernement français a pu le relever dans ses écritures devant le Conseil d’Etat, cette procédure ne trouve à s’appliquer que pour les compléments alimentaires composés de plantes ou de substances nutritionnelles.
Dès lors, les compléments alimentaires composés de vitamines et minéraux, librement fabriqués et/ou commercialisés dans un autre Etat membre, ne bénéficieraient pas de la procédure simplifiée de l’article 16.
Le gouvernement a ainsi indiqué que les opérateurs souhaitant voir commercialiser de tels produits devaient demander une modification de l’arrêté du 9 mai 2006 (article 18 du décret) selon les formes de la procédure contraignante (article 17 du décret).
Ce point avait été soulevé dans le cadre du débat mené devant le Conseil d’Etat par les sociétés requérantes.
Pour une raison ignorée, la Haute Juridiction n’a toutefois pas souhaité interroger la CJUE sur la validité de cette démarche, de sorte que l’arrêt rendu sur renvoi préjudiciel ne s’est pas prononcé sur cette difficulté.
Pourtant, il est permis de constater que l’Avocat Général près la CJUE avait stigmatisé l’absence de procédure de reconnaissance mutuelle en ce qui concerne les compléments alimentaires à base de vitamines et minéraux provenant d’un autre État membre, dans la mesure où les dispositions de l’article 16 du décret n°2006-352 n’étaient pas applicables à ces substances :
« Avant d’examiner les questions posées par la juridiction de renvoi, je souhaiterais relever que, dans ses observations écrites, Solgar e.a. fait valoir que l’illégalité de l’arrêté du 9 mai 2006 résulterait notamment de l’absence de procédure de reconnaissance mutuelle en ce qui concerne les compléments alimentaires à base de vitamines et minéraux provenant d’un autre État membre. Il me semble, en effet, que l’article 16 du décret exclut du champ d’application de la procédure «allégée» prévue par cet article les compléments alimentaires légalement commercialisés dans un autre État membre à base de nutriments dont les valeurs dépassent les limites fixées par l’arrêté du 9 mai 2006.
Toutefois, dans la décision de renvoi, le Conseil d’État a considéré que la problématique de la reconnaissance mutuelle des nutriments ne faisait pas l’objet de la procédure pendante devant lui. Par conséquent, si la portée exacte du terme «utilisation» figurant à l’article 3 dudit arrêté m’apparaît incertaine, je ne me pencherai pas pour autant sur cette question ».
Il semble ainsi que l’absence de reconnaissance mutuelle pour ce type de produit, provenant soit de l’arrêté du 9 mai 2006 soit du décret du 20 mars 2006, est susceptible de contrevenir au droit communautaire.
Cette difficulté n’est pas sans incidence pour les produits commercialisés par les opérateurs économiques qui peuvent bénéficier d’accords de commercialisation dans les autres Etats membres.
La circonstance que l’arrêté du 9 mai 2006 ne prévoit pas de mécanisme permettant d’appliquer pleinement le principe communautaire de reconnaissance mutuelle et de libre circulation des marchandises est de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité.
2°) En réponse à une interrogation du Conseil d’Etat, la CJUE a dit pour droit que la fixation des dosages en vitamines et minéraux devait respecter les critères prévus par l’article 5 de la directive n°2002/46 (points 26 à 32 de l’arrêt rendu sous le n°C-446/08).
Il appartenait donc à l’Etat français de prendre en considération les limites de sécurité, les apports provenant d’autres sources alimentaires et les apports de référence.
Cette modalité de fixation procède, selon la CJUE, d’une analyse des risques au sens du règlement n°178/2002 (attendu 30 de l’arrêt rendu sur renvoi préjudiciel).
Dans le cadre de la procédure pendante devant le Conseil d’Etat, le Ministre de l’Economie a indiqué qu’il avait fixé les teneurs en vitamines et minéraux en les classant en trois catégories.
S’agissant de la première catégorie établie en l’absence de limite de sécurité établie ou d’une limite de sécurité très élevée, qui regroupe les vitamines E, C, B1, B2, B3, B5, B8, B12, le Ministre de l’Economie a retenu des valeurs égales à trois fois les apports journaliers recommandés.
Selon le Ministre de l’Economie, il n’existerait aucun intérêt nutritionnel à obtenir un dosage plus élevé.
A cet égard et en premier lieu, force est de constater que la CJUE a de nouveau stigmatisé la prise en compte des critères nutritionnels comme élément de justification de mesures restrictives à la libre circulation des marchandises (attendu 60 de l’arrêt rendu sur renvoi préjudiciel).
En second lieu, il apparaît que la fixation de dosages maximaux en l’absence de limites de sécurité établies contrevient au droit communautaire.
La CJUE considère ainsi que « la fixation de quantités maximales de vitamines et de minéraux pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires lorsque, en l’absence de danger avéré pour la santé des personnes, des limites supérieures de sécurité n’ont pas été établies pour ces nutriments après une telle évaluation scientifique ne répond pas » à l’exigence d’évaluation scientifique des risques fondée sur des données scientifiques pertinentes mais repose sur des considérations purement hypothétiques (attendu 66 de l’arrêt rendu sur renvoi préjudiciel).
En d’autres termes et dès lors que les instances scientifiques internationales, notamment l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (AESA) qui procède à l’évaluation des limites de sécurité pour les vitamines et minéraux, n’ont pas fixé de limites de sécurité, la fixation de quantités maximales par l’arrêté entrepris constitue une entrave pour des raisons hypothétiques, dès lors que le danger pour la santé n’est pas établi.
En outre « une telle mesure irait également à l’encontre du principe de précaution qui exige que les mesures adoptées dans l’attente d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète du risque doivent être proportionnées et ne peuvent pas imposer plus de restrictions au commerce qu’il n’est nécessaire pour obtenir un niveau élevé de protection de la santé » (conclusions rendues par l’Avocat général le 17 décembre 2009).
Toutefois et dans son arrêt rendu le 27 avril 2011, le Conseil d’Etat a considéré que
« Considérant, en deuxième lieu, que, dès lors qu’il est tenu compte des risques avérés ou éventuels liés à l’ingestion d’un nutriment, soit qu’une limite supérieure de sécurité ait pu être fixée en considération de dangers établis, soit qu’une incertitude scientifique persiste quant à l’existence ou à la portée de risques réels pour la santé publique, les dispositions de l’article 5 de la directive du 10 juin 2002, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, autorisent les Etats membres, qui disposent à cette fin d’un pouvoir d’appréciation, à prendre en compte les apports de référence en vitamines et en minéraux pour fixer des quantités maximales de vitamines et de minéraux pouvant être présents dans les compléments alimentaires ; qu’il ressort des pièces du dossier que les ministres auteurs de l’arrêté attaqué, après avoir, sur la base d’éléments scientifiques d’évaluation des risques fournis en particulier par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments dans ses avis émis les 28 avril 2003 et 12 octobre 2004, classé les nutriments concernés en trois niveaux de risque en fonction, d’une part, de la quantité du nutriment pouvant être ingérée quotidiennement sans danger, exprimée, le cas échéant, sous forme d’une limite supérieure de sécurité et, d’autre part, des apports provenant des autres sources alimentaires, ont fixé les doses journalières maximales litigieuses de manière proportionnelle aux apports journaliers recommandés (AJR) – qui doivent être regardés comme les apports de référence au sens de l’article 5 de la directive du 10 juin 2002 – en retenant une valeur égale à trois fois les AJR pour les nutriments présentant le moins de risque, une valeur égale aux AJR pour les nutriments présentant un risque de dépassement de la limite supérieure de sécurité, et une valeur inférieure aux AJR voire nulle pour les nutriments comportant le plus de risque ; que cette méthode, qui repose sur le degré de risque pouvant être associé à chaque nutriment, ne saurait par elle-même être regardée comme étant incompatible avec les objectifs de la directive du 10 juin 2002 ».
En l’état, il est donc retenu et validé par la Haute juridiction une méthodologie consistant à fixer un dosage de manière proportionnelle aux apports journaliers recommandés.
Ainsi et pour les nutriments présentant le moins de risques, un dosage égal à trois fois les AJR est validé.
Cette notion de proportionnalité au regard des apports de référence et la fixation d’un dosage par l’application d’une règle de trois semblent contrevenir à l’obligation d’une évaluation scientifique des risques fondée sur des données scientifiques pertinentes et ne reposant pas sur des considérations purement hypothétiques.
Pour ce groupe de nutriment, il est certes exact que le Conseil d’Etat a prononcé une annulation de l’arrêté pour les vitamines B1, B2, B5, B8 et B12.
Toutefois et de manière surprenante, le Conseil d’Etat n’applique pas sa propre doctrine puisqu’il a refusé d’annuler le dosage retenu pour les vitamines E, C et B3, alors même qu’elles appartenaient au même groupe de nutriments.
Cet élément avait d’ailleurs fait l’objet de remarques de la part des services de la Commission européenne dans le cadre de la notification n°2003/306.
S’agissant de la deuxième catégorie regroupant les vitamines et minéraux caractérisées par un risque de dépassement (vitamine B6, phosphore, cuivre, manganèse, potassium, sélénium, chrome, molybdène), le Ministre de l’Economie a reconnu avoir fondé les valeurs maximales sur les apports de référence.
Une telle modalité de fixation, qui prend uniquement en considération le paragraphe 2 de l’article 5 de la Directive n° 2002/46, à l’exclusion des critères relatifs aux limites de sécurité et à l’apport d’autres sources alimentaires, contrevient au droit communautaire.
A cet égard, la CJUE a ainsi eu l’occasion de relever qu’il convenait de prendre en considération les différents critères fixés par la Directive n° 2002/46/CE et non seulement les apports de référence (attendus 29 à 31 de l’arrêt rendu sur renvoi préjudiciel) :
« En effet, l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 2002/46 constitue une disposition fondamentale en ce qui concerne la fixation des quantités maximales de vitamines et de minéraux pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires, puisqu’il énumère les éléments dont il doit être tenu compte pour fixer ces quantités.
Ces éléments procèdent d’une analyse des risques, au sens du règlement n° 178/2002, lequel, en vertu de son article 1er, paragraphe 2, a vocation à s’appliquer à toutes les mesures concernant la sécurité des aliments, y compris à celles prises au niveau des États membres.
Par ailleurs, il ressort de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 2002/46, lu en combinaison avec les treizième et quatorzième considérants de cette directive, que la fixation, sur le fondement desdits éléments, des quantités maximales de vitamines et de minéraux pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires vise à assurer la protection de la santé des personnes. »
Le Conseil d’Etat a considéré pour sa part que :
« S’agissant du phosphore, du cuivre, du manganèse, du sélénium, du molybdène, des vitamines B3, C et E :
Considérant que, contrairement à ce qui est allégué, l’interprétation de la directive du 10 juin 2002 donnée par la Cour de justice de l’Union européenne ne s’oppose pas à ce que les ministres auteurs de l’arrêté attaqué tiennent également compte de limites supérieures de sécurité qui auraient été établies au niveau national, et non, exclusivement, de limites établies au niveau européen ; que, s’agissant du phosphore, du cuivre, du manganèse, du sélénium, du molybdène et des vitamines B3, C et E, les requérants se bornent à soutenir que les ministres ont fixé des maxima sensiblement inférieurs aux limites supérieures de sécurité sans apporter de précisions suffisantes à l’appui de leur moyen, alors que cette seule circonstance n’est pas de nature à entacher d’illégalité l’arrêté en tant qu’il détermine les doses maximales pour chacun de ces minéraux dès lors que, comme il a été dit ci-dessus la directive du 10 juin 2012, telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne, ne fait pas obstacle à ce que la fixation de quantités maximales prenne en compte les apports de référence en vitamines et minéraux ;
S’agissant de la vitamine B6 :
Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne ressort pas des pièces du dossier que la dose maximale pour ce nutriment aurait été fixée par les ministres à 2 mg par jour en considération du seul risque de dépassement de la limite supérieure de sécurité établie pour les enfants de 2 à 4 ans, mais qu’au contraire, il a été tenu compte en outre, d’une part, de la limite supérieure de sécurité établie pour cette vitamine chez l’adulte et, d’autre part, du critère des apports journaliers recommandés ; qu’ils ne sont, par suite, pas fondés à demander l’annulation de l’arrêté attaqué sur ce point ; »
Cette validation de l’arrêté du 9 mai 2006 est quelque peu surprenante.
En effet et de manière générale, l’Etat membre peut effectivement prendre en considération l’analyse scientifique menée sur un plan national.
Mais il semble que la CJUE exige que la fixation d’un dosage réponde à une analyse du risque fondée sur des données scientifiques généralement admises et issues de la recherche internationale.
Or, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a eu l’occasion de se prononcer sur des dosages en vitamines et minéraux.
Notamment, il a été considéré qu’un apport supplémentaire en chrome ou en potassium ne présentait pas de danger jusqu’à un niveau beaucoup plus élevé que celui prescrit par l’arrêté du 9 mai 2006.
En d’autres termes, une analyse scientifique au niveau européen a permis de constater les effets sur la santé d’une supplémentation de ces nutriments et un dosage.
Dans ces conditions, il n’apparaît pas que l’arrêté du 9 mai 2006 soit justifié.
De même et s’agissant de la vitamine B6 et du phosphore, le dosage retenu par l’arrêté précité, en dépit des dénégations du Conseil d’Etat, contrevient au droit communautaire.
Ce point avait d’ailleurs été expressément soulevé par Melle Anne COURREGES, rapporteur public près le Conseil d’Etat, dans ses conclusions, puisqu’elle avait relevé que la fixation des teneurs pour la vitamine B6 et le phosphore tenait compte uniquement d’un risque de dépassement de la limite de sécurité pour les jeunes enfants.
En l’état, les interrogations quant à la légalité de l’arrêté du 9 mai 2006 n’ont visiblement pas été intégralement levées par l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat.
C’est pourquoi et devant les juridictions tant administratives que répressives, les opérateurs économiques ont sollicité des juridictions qu’elles prononcent un sursis à statuer et interroge, en leur qualité de juge de droit commun du droit communautaire, la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Et, par un jugement rendu le 3 mars 2015, le Tribunal correctionnel de PERPIGNAN a effectivement considéré que ces différents éléments étaient de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté du 9 mai 2006, dans les termes suivants :
« Attendu en effet que pour la commercialisation des compléments alimentaires dans le cadre du décret du 20 mars 2006 il est prévu une procédure allégée dite de reconnaissance mutuelle ; que cette procédure ne semble s’appliquer que pour les compléments alimentaires composés de plantes ou de substances nutritionnelles ; que l’on peut en déduire que les compléments alimentaires composés de vitamines et minéraux, librement fabriqués et commercialisés dans un autre Etat membre ne sauraient bénéficier de cette procédure simplifiée de l’article 16 du décret du 20 mars 2006 ; que dès lors cette dérogation au principe de l’absence de reconnaissance mutuelle serait susceptible de contrevenir au droit communautaire ;
Attendu que l’arrêt de la cour européenne ne s’est pas prononcé sur cette difficulté majeure malgré les observations de l’avocat général près la cour sur ce point ; (…)
Attendu par ailleurs que la cour de justice de l’Union Européenne a précisé que la fixation des dosages en vitamines et sels minéraux devaient respecter les critères prévus par l’article 5 de la directive numéro 2002-46 ; que cette évaluation exige une analyse des risques au sens du règlement N° 178-2002, et non en fonction des critères nutritionnels comme éléments de justification de mesures restrictives à la liber circulation des marchandises ;
Attendu qu’en effet il apparaît que la fixation des dosages maximaux en l’absence de limite de sécurité établie par expertise de manière scientifique pourrait contrevenir au droit communautaire ;
Attendu en conséquence que face à une méthodologie consistant à fixer un dosage de manière proportionnelle aux apports journaliers recommandés, on peut s’interroger sur la légalité de cette technique de dosage au regard des exigences fixées par les normes européennes ; qu’en effet la cour de justice de l’Union Européenne semble exiger que la fixation d’un dosage réponde à une analyse du risque fondé sur des données scientifiques issues de la recherche internationale ;
Attendu que l’application de ces critères ne semble pas être justifiée dans le cadre de la rédaction de l’arrêté du 09 mai 2006 ».
C’est pourquoi et reprenant les propositions formulées par notre intermédiaire, le juge pénal a sursis à statuer et interrogé la CJUE sur les questions suivantes :
« La directive 2002-46-CE et les principes communautaires de libre circulation des marchandises et de reconnaissance mutuelle s’opposent ils à la mise en place d’un texte national, tel que l’arrêté du 9 mai 2006, qui refuse toute procédure de reconnaissance mutuelle en ce qui concerne les compléments alimentaires à base de vitamines et minéraux provenant d’un autre État membre en excluant la mise en œuvre d’une procédure «allégée» pour les produits légalement commercialisés dans un autre État membre à base de nutriments dont les valeurs dépassent les limites fixées par l’arrêté du 9 mai 2006 ? »
« La directive 2002-46, notamment son article 5, mais également les principes issus de la jurisprudence communautaire sur les dispositions relatives à la libre circulation de marchandises permettent ils de fixer les doses journalières maximales en vitamines et minéraux de manière proportionnelle aux apports journaliers recommandés en retenant une valeur égale à trois fois les apports journaliers recommandés pour les nutriments présentant le moins de risque, une valeur égale aux apports journaliers recommandés pour les nutriments présentant un risque de dépassement de la limite supérieure de sécurité, et une valeur inférieure aux apports journaliers recommandés voire nulle pour les nutriments comportant le plus de risque ? »
« La directive 2002-46 mais également les principes issus de la jurisprudence communautaire sur les dispositions relatives à la libre circulation de marchandises permettent ils de fixer des dosages au regard des seuls avis scientifiques nationaux alors même que des avis scientifiques récents et internationaux concluent à des dosages supérieurs, dans des conditions d’utilisation identiques ? »
Sur le plan formel, la demande de renvoi préjudiciel doit tout d’abord être considérée comme recevable par la CJUE.
A défaut, elle peut être rejetée par voie d’ordonnance si:
- la question n’est pas pertinente, en ce sens que la réponse à la question, indépendamment de ce qu’elle peut être, ne peut en aucun cas affecter la solution du litige;
- l’interprétation demandée du droit communautaire n’a aucun lien avec les éléments de la cause;
- lorsque la question est d’ordre hypothétique; ou
- lorsque les éléments de fait et de droit nécessaires pour donner une réponse utile aux questions n’ont pas été communiqués à la Cour.
Il convient donc désormais d’attendre le positionnement de la CJUE, sur l’admissibilité et sur le fond, puisque l’arrêt est susceptible de provoquer un sérieux bouleversement de la réglementation en vigueur et de l’activité des opérateurs économiques.
En effet, il convient de rappeler que l’arrêt rendu sur renvoi préjudiciel par la CJUE bénéficie de l’autorité de la chose jugée et s’impose à tous, en ce compris les juridictions nationales et l’Administration.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Tatjana Balzer - Fotolia.com
Auteur
Flavien MEUNIER
Avocat Associé
LEXCAP NANTES
NANTES (49)
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Cotitularité du bail des époux et jugement de divorce
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