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Responsabilité pénale : Mark Zuckerberg est-il un directeur de la publication comme les autres ?

Publié le : 20/06/2019 20 juin juin 06 2019

Mark Zuckerberg est-il un Directeur de la publication comme les autres ? Libres propos sur un Président d’association, le fait diffamatoire et l’extrême variété des supports.
 

Le président d’une association au nom de laquelle un bulletin d’information au contenu diffamatoire est communiqué, a la qualité de directeur de publication de par l’exercice de ses fonctions et peut ainsi voir sa responsabilité pénale engagée pour diffamation.
 

I – Le directeur de la publication dans une association loi 1901

 
La diffamation est une infraction de presse définie par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 comme étant « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». Pour être punissables, il est nécessaire que les allégations ou imputations diffamatoires visées par l’art. 29 fassent l’objet d’une communication, et notamment avec un caractère public.
 
La question de l’imputation des faits à une personne physique précise constitue toujours dans ce domaine un enjeu procédural notable.
 
Ainsi, l’auteur de l’infraction peut d’abord être celui qui communique le premier les propos incriminés (publication directe) comme le tiers qui les reproduirait (Crim., 6 octobre 1992) ou par exemple qui en ferait la lecture (CA Paris, 13 mars 1998). Dans ces deux dernières hypothèses, c’est un nouveau délit qui fait donc courir un nouveau délai de prescription (Crim., 7 février 2017). La reproduction de propos diffamatoires doit faire l’objet d’une attention toute particulière, notamment sur internet, puisque la Cour de cassation a même pu considérer que « l'insertion, sur internet, par l'auteur d'un écrit, d'un lien hypertexte renvoyant directement audit écrit, précédemment publié, caractérise une telle reproduction » (Crim., 2 novembre 2016, n°15-87.163).
 
Au-delà de cette première approche, l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881 met en place un mécanisme de responsabilité pénale en cascade en matière de délits de presse, depuis les directeurs de publication ou éditeur jusqu’aux imprimeurs, distributeurs, vendeurs ou afficheurs.
 
Se pose ainsi en priorité la question de la détermination de la personne ayant la qualité de directeur de publication. Un arrêt de la Cour de cassation du 8 janvier 2019 traite du cas du bulletin d’information d’une association, ayant publié un contenu diffamatoire, mais dont le directeur de publication n’était pas expressément désigné.
 
Dans cet arrêt du 8 janvier 2019, la Cour de cassation confirme le raisonnement de la cour d’appel de renvoi en ce qu’« elle a dit, à bon droit que le prévenu avait eu la qualité de directeur de publication du bulletin susvisé de par l’exercice de sa fonction de président de la fédération des APAJH, éditrice de ladite publication, au sens des articles 6 et 42 de la loi du 29 juillet 1881 ».
 
Cet arrêt est notamment rendu au visa de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1881 selon lequel : « lorsqu'une personne physique est propriétaire ou locataire-gérant d'une entreprise éditrice au sens de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse ou en détient la majorité du capital ou des droits de vote, cette personne est directeur de la publication. Dans les autres cas, le directeur de la publication est le représentant légal de l'entreprise éditrice. Toutefois, dans les sociétés anonymes régies par les articles L. 225-57 à L. 225-93 du code de commerce, le directeur de la publication est le président du directoire ou le directeur général unique ».
 
Ainsi, dans le cadre d’une association, la qualité de directeur de publication, premier responsable pénal du délit de presse, revient donc au président de cette association du seul fait de l’exercice de ses fonctions. 

Par conséquent, en cas de communication d’un contenu diffamatoire, ce sera en premier lieu ce dernier qui pourra voir sa responsabilité pénale engagée quand bien même la communication des propos diffamatoires ou leur reproduction ne seraient pas de son fait.
 
Cet arrêt semble à rebours du libéralisme qui a longtemps marqué la Cour de cassation dans ce domaine et concernait une innocente feuille associative à la distribution relativement confidentielle, terres géographiquement balisées du droit de la presse.
 

II – Point rapide sur la « responsabilité numérique »

 
Dans ces conditions, l’hystérie expressive de notre nouveau monde numérique (auquel nous succombons) produit la prosaïque interpellation suivante : « pourquoi c’est pas pareil avec Facebook ? », et ici l’occasion de faire un point sur les procédures possibles en cas d’attaque (verbale) électronique.
 
La première nécessité, ici, est de démentir : « internet » ne constitue absolument pas un terrain de non-droit, sur lequel il serait loisible à chacun de déverser sa haine, sa folie, ses fixettes, son humeur.
 
Lorsqu’un propos contraire à la loi, et notamment diffamatoire, est publié sur un site ou une application spécifique (par exemple, et au hasard, le site officiel de « l’Amicale des joyeux négationnistes du 25ème arrondissement », ou l’application « Adopte-un-jeune-nazi.com »), il est facile de lancer une procédure ne serait-ce qu’à l’égard du directeur de la publication de ce site, obligatoirement identifiable, y compris au moyen d’investigations judiciaires.
 
La difficulté réside en revanche dans l’expression, en général anonyme, de divers propos sur des sites d’échanges ou de partages sociaux, et ainsi sur la responsabilité des prestataires numériques qualifiés d’hébergeurs ou d’intermédiaires.
 
Il résulte en effet d’une jurisprudence tout-à-fait établie que ces prestataires (et ainsi Facebook, Google ou Youtube, par exemple), fussent-ils très suivis, ne sont pas responsables des propos publiés sur leurs pages, dont le paramétrage résulte d’ailleurs souvent de la seule action de leurs membres.
 
La loi du 21 juin 2004, celles des 29 décembre 2015, 8 août et 7 octobre 2016, plusieurs fois renforcées, et dernièrement en visant spécifiquement le cyber-harcèlement, envisagent néanmoins un régime de mise en cause de ces opérateurs, hébergeurs en ligne, éditeurs ou opérateurs de plates-formes, axé sur différentes obligations et notamment :
  • Le droit de réponse, et l’incrimination pénale du refus injustifié opposé à une telle demande ;
  • La mise en demeure de l’opérateur numérique aux fins de retrait ou suppression du passage litigieux, laquelle mise en demeure doit présenter une forme spécifique ; l’absence de réaction de l’opérateur en cause pouvant, alors, entraîner sa propre responsabilité civile et pénale.
 
Il en résulte un certain nombre d’observations.
 

III – Quelques indications pratiques

 
En premier lieu, la responsabilité pénale, directement en tant que directeur de la publication, d’un opérateur numérique de ce type est actuellement impossible, contrairement à celle, par exemple, d’un journal d’information papier ou électronique, et malgré la formulation, au sein de l’actuel gouvernement, d’une volonté de réforme en ce sens.
 
En deuxième lieu, la poursuite de tel ou tel propos publié nécessite sans réserve le recours à un avocat rompu au droit de la presse, notamment en ce qui concerne les règles de prescription, de qualification et de procédure ; les services judiciaires, au vu de leur fonctionnement actuel, n’ayant aucune chance de réagir seuls avant l’expiration des délais utiles, et les services de police étant techniquement déconnectés de ce type d’enjeux.
 
Enfin, une action judiciaire, devant la juridiction civile, notamment en référé, ou devant la juridiction pénale, est parfaitement utile et pertinente, notamment lorsque :
  • Il est nécessaire d’identifier précisément l’auteur du propos en cause par des investigations techniques ne pouvant être réalisées que par la voie judiciaire ;
  • Il est nécessaire de faire consacrer par une juridiction le caractère illégal d’une publication (notamment en cas de diffamation), afin de forcer l’opérateur à retirer ce texte sans discussion possible ;
  • Il est nécessaire de contraindre l’opérateur, soit à publier un droit de réponse, soit à faire disparaître le propos en cause lorsque cet opérateur ne se montre pas diligent.
 
Ainsi par exemple la Cie GOOGLE France a-t-elle obtempéré, en 15 jours, à la demande de suppression qui lui était faite d’un propos diffamatoire publié, par un ancien patient, sur les pages « Google Avis » d’un professionnel de santé, une fois rendue, au contradictoire de ce dernier, un arrêt d’appel, formé sur une ordonnance de référé, confirmant le caractère diffamatoire du propos et ainsi, sous certaines conditions, l’existence d’un trouble manifestement illicite.
 
***
 
De Pascal ZECCHINI, Avocat au Barreau de TOULON,
Avec la participation de Mme Eléonore BODY, Master 2 « Droit pénal & sciences criminelles », Université GRENOBLE - ALPES

Cet article n'engage que ses auteurs.

 

Auteur

Pascal ZECCHINI
Avocat Associé
CLAMENCE AVOCATS
TOULON (83)
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