Affaire Tapie: le recours à l’arbitrage était-il légal et justifié ?
Publié le :
19/07/2013
19
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07
2013
Quel intérêt le CDR avait-il d’abandonner un procès qui pouvait être gagné pour s’aventurer dans la voie inédite de l’arbitrage ? Cette décision ne s’explique pas de façon rationnelle.
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Sans doute faut-il rappeler qu’il existe deux sources d’arbitrage celle de la clause compromissoire insérée dans le contrat qui préexiste au litige qui est alors impérative et celle du compromis qui est établie en accord entre les parties pour régler le litige une fois qu’il se déclare, mais qui est alors une voie purement facultative.
S’il est habituel que l’on ait recours au compromis d’arbitrage pour éviter d’aller en justice, il est beaucoup plus rare que l’on fasse l’inverse. En l’espèce, recourir à un arbitrage après un arrêt de cassation, de surcroit de l’Assemblée plénière, constitue une première en France puisqu’il n’existe pas de précédent.
Un tel arbitrage n’aborde donc pas un terrain vierge et se devait de respecter l’autorité attachée aux décisions précédemment rendues et tout particulièrement l’arrêt de cassation du 9 octobre 2006. Il était dès lors nécessaire pour les arbitres d’interpréter celle-ci puisque le litige n’avait pas été définitivement tranché, ce qui leur a d’ailleurs été demandé. Le risque était donc grand d’une dénaturation de la chose jugée, et les arbitres n’ont pas su l’éviter (cf. partie IV).
La décision de recourir à l’arbitrage devait donc se fonder sur des éléments déterminants et impératifs tant elle heurte de front le bon sens du plus modeste juriste.
De plus, comme cela a été souligné, si la nature confidentielle de l’arbitrage est prisée dans le secret des affaires, celle-ci ne fait pas bon ménage avec une affaire dans laquelle les deniers publics sont en jeu.
Sur la légalité de l’arbitrage
Un premier débat intense s’est engagé pour savoir si un tel arbitrage contracté par une société de défaisance (CDR) bénéficiant de la garantie de l’Etat et détenue par une personne publique (EPFR) enfreignait les dispositions de l’article 2060 du Code civil qui interdit aux personnes publiques de compromettre : « On ne peut compromettre sur (…) les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l'ordre public ».
Or, comme l’a résumé Monsieur De Courson, le CDR est une fausse société anonyme possédée à 100% par un établissement public administratif – soit un double faux nez.
Monsieur ROCCHI tout en indiquant : « il n’y a pas à ma connaissance un principe général et absolu interdisant à une filiale d’un Etablissement public administratif de se porter à l’arbitrage » a reconnu : « au moment où s’engage l’arbitrage, nous n’avions aucune certitude dans un sens ou dans l’autre ».
C’est bien ce que reproche la Cour des comptes au Président du CDR en écrivant dans son rapport « qu’il convenait de s’assurer par toutes voies appropriées, y compris la consultation du Conseil d’Etat que le CDR était habilité à recourir à l’arbitrage pour le compte d’un établissement public ».
On sait que les recours, engagés par des contribuables et des députés, ont été rejetés d’abord par le Tribunal administratif de Paris, puis par la Cour d’appel et enfin par le Conseil d’Etat.
La messe est-elle dite ?
Pas vraiment puisque la haute juridiction ne s’est pas prononcée sur le fond, mais a déclaré les requérants (les deux contribuables résiduels) irrecevables en leur action pour défaut de qualité à agir.
Cette problématique a été si forte qu’elle a été suivie d’une initiative législative destinée à empêcher à l’avenir qu’une telle situation se reproduise, bien que l’on peut puisse que désormais personne ne s’y risquera de nouveau.
Sur la décision du Conseil Constitutionnel du 1er mars 2007
On pourrait même dire que cette discussion n’aurait jamais pu avoir lieu si l’amendement (préventif ?) « article 40 » qui avait été déposé par le gouvernement en février 2007 dans le cadre d’une loi portant sur la réforme de la protection juridique des majeurs avait pu voir le jour.
Cet amendement aurait alors permis de prendre par ordonnance des mesures relatives au recours à l’arbitrage pour des personnes morales de droit public.
Mais le Conseil constitutionnel (présidé par Mr Mazeaud !) veillait et l’amendement fut invalidé car il constituait « un cavalier législatif » (9).
De lourdes interrogations demeurent :
Pourquoi cet amendement si l’arbitrage était légal ?
Le gouvernement de l’époque était-il mieux informé qu’il ne le prétend et cette tentative avortée ne sonne t-elle pas comme un aveu que l’arbitrage n’était pas légal ?
Comment Mr MAZAUD a-t-il pu accepter la mission d’arbitrage sans se poser lui-même la question ?
Sur les raisons avancées
En tout cas était-il justifié ?
Le président du CDR en poste à l’époque, Mr ROCCHI s’est déclaré favorable à l’arbitrage (10) et a justifié sa décision devant la représentation parlementaire par plusieurs raisons dont certaines ne manquent pas de surprendre.
Ainsi, celui-ci a mis en avant que depuis l’arrêt de cassation, le Président (Mr CANIVET) avait changé. On ne voit pas en quoi ce changement de présidence à la Cour de cassation aurait pu influencer la Cour de renvoi.
La plus haute juridiction qui tient d’ailleurs à la pérennité de sa jurisprudence, n’opère jamais de revirement net ou rapide et cherche plutôt à adapter ou concilier les solutions qu’elle pose.
En second lieu, il a évoqué la possibilité offerte par l’arbitrage de regrouper l’ensemble des procédures pour pouvoir obtenir une décision globale et rapide.
Cet argument ne doit pas être négligé car en apparence il semble fondé, à l’analyse il l’est beaucoup moins.
En effet, l’arbitrage a uniquement porté sur l’affaire principale et sur une instance parallèle qui avait été engagée par les liquidateurs au titre de la responsabilité de la banque pour rupture de crédit et/ou soutien abusif mais qui n’avait qu’un intérêt très subsidiaire, les autres instances ayant fait l’objet de désistements.
On comprend que l’arbitrage opérait une simplification des procédures, mais on peut douter que cette concentration était favorable au CDR car elle cristallisait une argumentation culpabilisante de la Banque sur plusieurs terrains juridiques.
La simplification opérait donc plutôt un avantage pour la partie adverse, le demandeur étant souvent avantagé lorsque le procès s’accélère et se clarifie.
La troisième raison concernait la durée de vie du CDR dont la dissolution avait été programmée en 2014, ce qui sous-entendait donc qu’il était urgent de trouver une solution.
Mais la dissolution d’une société ne met pas fin à sa personnalité morale, et un liquidateur est toujours désigné pour suivre les procédures en cours.
Il est douteux d’ailleurs aujourd’hui que le CDR sera dissous en 2014 en raison même des recours engagés.
L’argument n’était donc pas déterminant.
Enfin, il faisait observer que la condamnation prononcée par la Cour d’appel de 135 millions d’euros portait intérêt à compter de 1994, ce qui avait pour effet d’accroître de façon exponentielle la créance.
Cela n’est pas exact puisque l’arrêt de cassation ayant réformé l’arrêt de la Cour d’appel, la condamnation avait été anéantie.
Seule subsistait donc celle prononcée à l’origine par le Tribunal de commerce à hauteur de 9 millions d’euros, ce qui réduisait d’autant le risque potentiel (encore que l’exécution provisoire avait été suspendue).
On apprend d’ailleurs au passage que la créance du CDR / Crédit Lyonnais avait été « mal déclarée » et qu’elle ne produisait pas d’intérêt à échoir, ce qui surprend lorsqu’on sait que l’ouverture de la procédure collective avait été déclenchée par la banque qui ne pouvait donc se déclarer surprise ou prise par le temps au point de ne pas préparer ses déclarations de créance.
Il évoque également les prétentions exorbitantes des liquidateurs devant la Cour de renvoi portées à 9 milliards d’euros, tout en reconnaissant lui-même qu’« aucune juridiction, la Cour d'appel ou autre, n’aurait consenti une telle indemnité ».
Il est vrai que l’arrêt de cassation semblait avoir définitivement clos l’espoir des liquidateurs d’obtenir le paiement de la fameuse plus-value.
Madame Lagarde dans sa comparution devant la représentation parlementaire a évoqué ces mêmes raisons mais en a également mentionné d’autres.
En particulier, elle a évoqué la durée excessive des « procédures TAPIE » qui aurait pu exposer la France à une condamnation de la CEDH.
On est un peu surpris par l’argument car ces procédures étaient essentiellement le fait des liquidateurs et on a du mal à imaginer que ces derniers aient pu saisir la CEDH pour une durée excessive de celles-ci alors qu’ils les avaient multipliées.
Elle a évoqué également la notoriété incontestable des arbitres comme gage de sécurité.
Mais selon certaines rumeurs qui ont circulé depuis, le Président (Mr MAZEAUD) n’était pas un spécialiste du droit des affaires (11), et son assesseur (Mr BREDIN) qui lui était d’une compétence reconnue, aurait été diminué par des ennuis de santé, et en définitive ils n’ont que très peu participé à la rédaction de la sentence qui semble avoir essentiellement reposé sur la plume de Mr ESTOUP (12).
On sait donc désormais que ce choix, en apparence prestigieux, n’était pas des plus judicieux.
En définitive, aucune des raisons avancées n’apparait vraiment déterminante pour justifier que l’on ait quitté la route tracée de la procédure pour s’aventurer dans les sous-bois de l’arbitrage.
Madame Lagarde en est sans doute consciente, puisqu’après avoir affirmé devant la représentation parlementaire: « en conscience, j’ai jugé l’arbitrage opportun », elle ajoute néanmoins: « je me trompe peut-être mais personne n’est en mesure de le démontrer aujourd’hui ».
Evidemment, Madame Lagarde est revenue depuis sur ses propos puisqu’elle a déclaré devant la Cour de justice de la République, en mai 2013 : « avec le recul et au vu des éléments que vous me communiquez, il est évident que mon sentiment est différent ».
Il serait cependant indélicat de suspecter la bonne foi de Madame LAGARDE (13), mais il se dégage de l’ensemble de ces circonstances le sentiment désagréable que cette affaire a été très mal préparée puisqu’elle semble s’en être remis aveuglement à son entourage (notamment à son directeur de cabinet, Stéphane RICHARD également mis en examen).
Le rapport de la Cour des comptes (14) souligne par ailleurs que le conseil d’administration du CDR, affaibli par des départs et des vacances, n’a pas joué le rôle de contrôle qui aurait dû être le sien.
La décision de recourir à un arbitrage était donc une décision aventureuse qui n’a été ni mesurée, ni réfléchie soigneusement et sagement, et qui, en tout état de cause, n’était adaptée ni à la nature du contentieux, ni à son retentissement médiatique.
Le litige ADIDAS figurait-il dans la mission du CDR ?
Une dernière question s’est également posée devant la représentation parlementaire et était la suivante, qui peut d’ailleurs surprendre :
Est ce que le litige Adidas figurait dans la mission du CDR ?
Le protocole du 05 avril 1995 qui avait fixé les limites du transfert de compétence des dossiers du Crédit Lyonnais au CDR ne concernait que les litiges engagés au 31 décembre 1994, ce qui n’était pas le cas du litige Adidas qui ne figurait même pas dans la liste des litiges complémentaires (l’assignation des liquidateurs n’a été délivrée qu’en 1996).
Ce litige a été néanmoins inclus dans la mission du CDR « par la grâce » d’une lettre ministérielle postérieure du 17 mars 1999 (signée par D. Strauss Kahn) qualifiée « d’interprétative », ce qui a permis d’éviter que la question soit soumise à nouveau à la représentation nationale.
Cette dernière observation fait douter et montre avec quelle légèreté on a disposé des deniers publics.
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Index:
(9) Décision n0 2007-552 DC du 1er mars 2007.
(10) Contrairement à son prédécesseur, Mr AUBERT, qui s’était déclaré opposé à cette initiative.
(11) Ni d’ailleurs de l’arbitrage, il aurait même reconnu avoir été incapable de rédiger la sentence selon Le Monde.
(12) Puisque sa la partialité a été mise en cause dans les arbitrages rendus en 1999 et 2001 qui ont été annulés en raison de sa proximité trop grande avec Me LANTOURNE, avocat de B.TAPIE. De plus, et c’est sans doute plus grave, il aurait été consulté par B.TAPIE sur ses dossiers contre le Crédit Lyonnais et aurait émis une facture de 12.000 € en 1997, ce qui lui aurait permis de mettre fin à ses ennuis judiciaires de l’époque. On a donc pu faire un rapprochement entre cette consultation et la fameuse dédicace dédiée par B.TAPIE à ce haut magistrat dans laquelle il l’assure de sa profonde reconnaissance pour lui avoir apporté « un soutien qui a changé le cours de son existence ».
(13) Qui a déclaré selon une formule choc : « est ce que j’ai une tête à être copine avec TAPIE ? ».
(14) Ce rapport souligne en effet que pendant deux ans, c'est-à-dire pendant la période cruciale de l’arbitrage ADIDAS / TAPIE, la composition du conseil d’administration et du CDR s’est écartée des dispositions applicables aux sociétés anonymes du Code de commerce.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Gina Sanders - Fotolia.com
Auteur
NEVEU Pascal
Avocat Honoraire
NEVEU, CHARLES & ASSOCIES
NICE (06)
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