L'alcool en entreprise
Publié le :
27/09/2006
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2006
PrécisionsL'alcool pose de nombreux problèmes aux entreprises, soit absentéisme, accidents du travail, malfaçons et baisse de productivité...
I – LA PREVENTION DE L'ALCOOLISME
Quelques dispositions légales permettent de limiter l'alcoolisme des salariés. Certaines ont un caractère informatif, d'autres sont coercitives.
A) - Le rôle du médecin du travail :
1 – Une mission d'information et de dépistage
L'article R 241-49 dispose que "tout salarié doit bénéficier, dans les douze mois qui suivent son embauche, d'un examen médical. Cet examen doit être renouvelé au moins une fois par an."
Cet examen annuel est un minimum. L'objet de la visite est de s'assurer du maintien de l'aptitude du salarié au poste de travail occupé. Elle sera principalement axée sur la surveillance de l'adaptation de l'homme à son poste de travail avec comme corollaire le dépistage d'états pathologiques ignorés du salarié. Néanmoins il peut être demandé au médecin de s'attacher plus particulièrement au dépistage de tel ou tel problème, notamment l'alcoolisme.
L'efficacité d'une telle mesure est, semble-t-il, limité, l'alcoolisme étant rarement un sujet de contrôle à l'occasion de la visite médicale.
De plus, l'exploitation d'un tel dépistage par le chef d'entreprise est impossible. En effet, selon l'article 75 du Code de déontologie médicale, le secret médical s'impose au médecin qui ne peut mentionner aucun renseignement confidentiel sur la fiche d'aptitude communiquée à l'employeur.
Néanmoins, selon le Conseil Supérieur de la Prévention des risques professionnels (Cf. "Conditions de travail, bilan 1988", CSPRP, Documentation Française, LS Legis (0) n° 6768 du 16 décembre 1992), l'employeur peut demander certains renseignements présentant un lien "direct et nécessaire" avec l'emploi proposé. Cette réflexion qui a été élaborée dans un but de protection des salariés atteints du virus du SIDA pourrait, à notre sens, être étendue à l'ensemble des pathologies faisant courir un risque au salarié ou à d'autres personnes à l'occasion de son travail. Il semble qu'il pourrait en aller ainsi de l'alcoolisme chronique pour les personnes employées, par exemple, en tant que chauffeurs routiers.
2 – Drogues et médicaments
Afin de se prononcer sur l'aptitude ou non du salarié, le médecin du travail peut prescrire toutes les investigations biologiques qui lui sont nécessaires (Cf. note min. n° 90-13 du 9 juillet 1990 – LS (0) n° 6419 du 24 août 1990).
En effet, "il existe ou il peut exister dans certaines entreprises des activités pour lesquelles l'usage de drogue peut présenter des risques soit pour ceux qui exercent ces activités, soit pour des tiers. Il est normal et souhaitable que les candidats à des emplois relevant de ces activités et les salariés occupant ces emplois fassent l'objet d'examens systématiques tendant à déceler l'usage de drogue de nature à justifier l'inaptitude des intéressés à l'emploi postulé ou exercé. Dans cette mesure seulement, le recours systématique aux tests et examens en cause est justifié" (qu'en cas d'activités à risque). (position du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé).
Un recours systématique aux tests semble donc délicat. Cela étant, on devrait pouvoir entendre le terme drogue au sens large étant donné qu'aussi bien l'usage de psychotropes que la consommation d'alcool peuvent présenter des risques. De plus, si les tests systématiques sont limités à certaines activités, le recours ponctuel, en cas de doute, ne semble pas à exclure.
A notre sens et dans certaines hypothèses caractérisées, le salarié qui ne signale pas un état de santé résultant de la consommation de médicaments et pouvant créer un risque sur sa personne ou sur celle d'autres salariés commet une faute, en contravention de l'article L 230-3 du Code du Travail, pouvant justifier son licenciement. En effet, chaque salarié doit "prendre soin... de sa sécurité et de sa santé, ainsi que de celle des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail." Le principe de proportionnalité entre protection des droits et libertés du salarié et les objectifs de sécurité de l'employeur nous semble, dans une telle hypothèse, respecté et une mesure le spécifiant peut donc être incorporée au sein du règlement intérieur.
B) - Le recours à d'autres organismes
Certains organismes de certification des entreprises aux normes d'hygiènes et de sécurité (type APAVE...) peuvent effectuer des missions de prévention contre l'alcoolisme par le biais d'affichage, de notes de service, ou de réunions d'information auxquelles les salariés peuvent être contraints de participer.
C) - La mise à disposition de boissons par l'employeur
Le Code du Travail prévoit diverses mesures tendant à limiter l'alcoolisme des salariés :
1 – R 232-3 et 232-3-1 : distribution de boissons
L'article R 232-3 dispose que "les employeurs doivent mettre à disposition des salariés de l'eau potable et fraîche pour la boisson."
L'article R 232-3 complète "dans le cas où des conditions particulières du travail entraînent les travailleurs à se désaltérer fréquemment, l'employeur est tenu de mettre gratuitement à leur disposition au moins une boisson non alcoolisée.
[...] Le choix des boissons et le choix des aromatisants, qui doivent titrer moins d'un degré d'alcool et être non toxiques, sont fixés en tenant compte des souhaits exprimés par les salariés et après avis du médecin de travail..."
2 – R 143-1 : paiement du salaire
Un décret en Conseil d'Etat prévoit que "[le paiement du salaire] ne peut avoir lieu dans les débits de boisson ou magasins de vente, sauf pour les personnes qui y sont employées." (article R 143-1 alinéa 2).
3 – L 232-3 : avantages en nature
Selon l'article L 232-3, "dans les entreprises industrielles et commerciales, les conventions et accords collectifs de travail ou les contrats individuels de travail ne peuvent comporter de dispositions prévoyant l'attribution , au titre d'avantages en nature, de boissons alcooliques aux salariés.
Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux boissons servies à l'occasion des repas constituant un avantage en nature."
On remarquera ici la déception, légitime, des vendangeurs qui ne peuvent négocier, du moins officiellement, avec leur employeur la remise de bouteilles de la cuvée à laquelle ils ont participé...
II - LES INTERDICTIONS LEGALES :
Aux salariés :
Le salarié a pour l'obligation légale de ne pas introduire d'alcool dans l'entreprise et l'employeur de ne pas laisser entrer de salariés en état d'ivresse au sein de l'entreprise.
L'interdiction est inscrite dans le Code du Travail.
L'article L. 232-2 alinéa 1 du Code du Travail dispose :
"qu'il est interdit à toute personne d'introduire ou de distribuer dans les établissements et locaux mentionnés à l'article L 321-1 pour être consommés par le personnel toutes boissons alcooliques autres que le vin, bière, cidre, le poiré, l'hydromel non additionnés d'alcool."
Les établissements concernés sont les établissements publics, privés, laïques, religieux, les professions libérales, les syndicats professionnels, les associations et groupements.
Cette disposition concerne donc essentiellement les salariés et le non-respect de ces dispositions est sanctionné [par l'article L. 263-2 du Code du Travail] soit par une amende de 3 750 € .
A défaut de dispositions écrites au sein du règlement intérieur de l'entreprise, un salarié peut introduire et boire sans être sanctionné d'aucune façon les alcools énumérés, ceci étant, l'état d'ébriété du salarié l'expose quand même à des sanctions que l'employeur peut lui infliger.
Aux employeurs :
- une première disposition légale du Code du Travail :
Selon le même article L 232-2 alinéa 1, toute personne ayant autorité sur les salariés ne peut laisser introduire ou distribuer au sein de l'entreprise de boissons alcoolisées autres que celles énumérées. Le non-respect de ces dispositions est sanctionné par l'article L 263-2 soit une amende de 3 750 € par infraction constatée. Cela signifie que l'amende est appliquée autant de fois qu'il y a de salariés dans l'entreprise concernée.
Ceci étant, l'employeur qui ignore de bonne foi la présence d'alcool dans l'entreprise ne pourra être sanctionné mais il reste cependant tout de même tenu de contrôler la présence d'alcool dans l'entreprise ainsi que l'état de ces salariés.
- une seconde disposition légale énoncée dans le Code du Travail :
[L'alinéa 2 de l'article L. 232-2 du Code du Travail] dispose également "qu'il est interdit à tout chef d'établissement, Directeur, gérant préposé, contremaître, chef de chantier et en général à toute personne ayant autorité sur les ouvriers et employés de laisser entrer ou séjourner dans les mêmes établissements des personnes en état d'ivresse."
La situation de l'employeur peut être ambiguë lorsqu'un salarié ivre se présente au travail. L'employeur ne doit pas le renvoyer seul chez lui ; il doit, s'il en a la possibilité faire accompagner le salarié chez lui ou à défaut le retirer de son poste de travail et le maintenir dans l'entreprise pour se reposer en attendant que les effets de l'alcool se dissipent.
Le rôle du règlement intérieur pour palier à la Loi :
Au-delà des interdictions légales, il faut insister sur le rôle du règlement intérieur qui peut prévoir toute interdiction d'introduction ou consommation d'alcool dans l'entreprise ce que la loi ne fait pas.
Ainsi les mesures concernant l'emploi de l'alcootest ou de la fouille des salariés seront insérées dans le règlement intérieur et leur importance est capitale car, par exemple, à défaut de dispositions du règlement intérieur "le licenciement d'un salarié dans le vestiaire duquel se trouve une bouteille de vin rouge largement entamée est sans cause réelle et sérieuse, la présence de cet alcool n'étant pas contraire aux dispositions légales du Code du Travail" (jurisprudence de la Cour d'Appel de CHAMBERY de 1998).
Les pots organisés au travail :
Il faut évoquer cette situation exceptionnelle des pots dans l'entreprise au moment des départs à la retraite, des fins d'année, promotions ... comment fêter ces évènements en toute sécurité juridique pour l'employeur ?
D'une part il faut rappeler que l'employeur peut être exposé à un risque pénal par exemple en cas de mise à disposition d'alcool interdit : whisky, vodka, lors d'un pot mais il peut aussi encourir un risque civil par exemple en cas d'accident ayant un lien avec l'état d'ivresse d'un salarié. Sa faute inexcusable pourrait être retenue par les juridictions civiles sur le fondement de l'obligation de sécurité. La victime de l'accident pourra prétendre à une réparation intégrale du préjudice subi à la charge de l'employeur. Toutefois si la victime de l'accident est le salarié ivre, sa participation à la réalisation du dommage pourra être prise en compte pour réduire le montant de l'indemnisation.
Sur le plan pénal, peut-on envisager que le Procureur puisse poursuivre un chef d'entreprise pour complicité de conduite sous l'empire d'un état alcoolique pour avoir organisé un pot et servi des boissons alcoolisées si le salarié commet un accident. Il faut rappeler qu'une gérante de bar de boissons a été relaxée par une Cour d'Appel alors qu'elle avait été poursuivie du chef de complicité de conduite sous l'empire d'un état alcoolique pour avoir servi des boissons alcoolisées à une personne manifestement ivre qui avait repris son véhicule et causé un accident (Cour d'Appel de DOUAI – 3 mai 2005).
On peut cependant aisément imaginer que le chef d'entreprise puisse être aussi poursuivi pour complicité par aide ou assistance, le chef d'entreprise ayant facilité la préparation ou la consommation d'alcool ou éventuellement qu'il puisse être poursuivi pour mise en danger d'autrui (violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité). Le risque est donc lourd sur le plan pénal.
En conclusion, il est préférable que ces pots organisés se déroulent sans alcool et si cette mesure risque d'être pour certains mal accueillie, il est possible de soumettre l'organisation de ces pots à l'autorisation de la hiérarchie et cette autorisation sera donnée avec un code de conduite et un rappel de l'encadrement nécessaire pour éviter toute dérive. Il est possible alors de prévoir un nombre de bouteilles alcoolisées largement inférieur au nombre de participants à titre d'exemple. Il peut être également recommandé de prévenir les participants qu'en raison de l'obligation faite au chef d'entreprise d'assurer la sécurité dans l'établissement, il met en place un alcootest à la disposition du personnel.
III – LES POUVOIRS DE L'EMPLOYEUR :
La sanction immédiate possible :
Celle du salarié qui se présente ivre à son poste de travail sera de le retirer de son poste de travail, les heures non effectuées n'étant pas rémunérées.
Le salarié ivre qui se voit refuser l'accès à l'entreprise peut a priori être considéré comme absent de son fait.
Sauf dispositions légales ou conventionnelles maintenant le salaire, lorsque la prestation de travail n'est pas effectuée, la rémunération n'est pas due en cas d'absence du salarié.
Dès lors, s'il est payé à l'heure, l'absence se traduit par une réduction du nombre d'heures payées (Cassation Sociale 11 février 1982).
Lorsque après plusieurs avertissements un salarié se présente ivre à son travail ou que, du fait de son état d'ébriété, il a été la cause d'un accident, une mise à pied à titre conservatoire peut être envisagée voire s'imposer en vue d'éviter les risques découlant de cet état.
L'autre sanction : licenciement
Un salarié peut être sanctionné en raison de son état d'ébriété ou de son intempérance, la sanction pouvant donc aller même jusqu'au licenciement.
Les exemples jurisprudentiels sont nombreux, choix de quatre affaires récentes :
1° - Le fait pour un salarié d'être dans un état d'ébriété tel qu'il n'est pas en mesure d'assurer ses responsabilités professionnelles en présence de ses subordonnés constitue une faute grave (Cassation Sociale 6 décembre 2000).
2° - Le licenciement d'un salarié a été jugé comme constituant une sanction disproportionnée par la Cour d'Appel de CAEN 10 mars 2006 dans le cas suivant : il s'agissait d'un salarié qui avait consommé de l'alcool en quantité telle qu'il avait été découvert le soir même à 23 H 30 inconscient sur un banc dans le couloir d'entrée du personnel, cet alcool avait été consommé à la suite d'une réunion amicale organisée par un salarié au sein de l'entreprise.
Il a été jugé que l'employeur pouvait le sanctionner pour le fait d'avoir contrevenu aux dispositions du règlement intérieur qui prévoyaient qu'il était interdit à tout membre du personnel de pénétrer ou de séjourner en état d'ivresse dans l'établissement mais que le licenciement était disproportionné, car le salarié était sans critique auparavant, le salarié a pu alors prétendre à des indemnités pour rupture abusive.
3° - Un salarié engagé en qualité de chauffeur poids lourds peut être licencié pour une cause réelle et sérieuse (mais pas une faute grave) en raison de son état d'ébriété lors d'une session de formation suivie d'une altercation avec un collègue. L'état d'ébriété a été constaté alors que le salarié participait à une session de formation, il n'exerçait donc pas ses fonctions habituelles de chauffeur. Aussi le contexte n'était pas de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger de sorte que les faits sont constitutifs d'une simple cause réelle et sérieuse. (Cour d'Appel de REIMS Chambre sociale 6 juillet 2005).
4° - La Cour d'Appel en novembre 2005 a jugé qu'un salarié ivre préparateur de commandes pouvait être licencié pour faute grave car son état faisait perdre du temps à ses collègues, l'entreprise, les clients, et il pouvait être dangereux pour ses collègues car son travail consistait à l'utilisation d'un tire palette électrique.
Sur l'alcool et accidents du travail :
L'état d'ébriété n'a pas pour conséquence de modifier la nature de l'accident.
L'accident est un accident de travail dès lors que celui-ci est survenu sur le lieu de travail de l'intéressé qui ne s'est pas soustrait à l'autorité de son employeur. Aussi, en est-il pour le salarié chauffeur routier retrouvé dans un état alcoolique avancé, à qui survient un accident, dans la mesure où il ne s'est pas soustrait à l'autorité de son employeur.
La faute de la victime de l'accident n'exonère l'employeur de toute faute inexcusable que si elle a été déterminante dans la survenance du dommage, exemple : le fait pour un salarié de mourir étouffé dans un silo à grains alors que malgré son état alcoolique aucune faute de sa part n'a été déterminante dans la survenance du dommage justifie la majoration maximale des rentes pour les ayants droit (Cassation 17 mai 1990).
L'employeur peut même être condamné pénalement lorsqu'un salarié enfreignant les directives expresses de l'employeur emprunte une passerelle non protégée comme elle aurait dû l'être et fait une chute mortelle alors qu'il avait un taux d'alcoolémie de 3,50 grammes par litre. (Cassation novembre 1993).
Cet article n'engage que son auteur.
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