Une clause d'indexation qui exclut la révision du loyer commercial à la baisse est nulle

Une clause d'indexation qui exclut la révision du loyer commercial à la baisse est nulle

Publié le : 05/04/2016 05 avril avr. 04 2016

Pour la première fois la Cour de Cassation, (en rejet d'un pourvoi engagé contre un arrêt de la Cour d'Appel de Paris en date du 2 juillet 2014) affirme le principe selon lequel une clause d’indexation d’un bail commercial qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse est nulle.Il s’agissait d’une décision très attendue compte-tenu des divergences qui opposaient les Cours d’Appel, la doctrine étant également partagée.

La Cour d’Appel de Paris avait d’abord considéré que ces clauses étaient valables (CA Paris, 3 avril 2013, RG n° 11/14299) pour finalement juger qu’elles ne l’étaient pas (CA Paris, 12 juin 2013, RG n° 11/12178), rejoignant en cela la Cour d’Appel de Versailles (Arrêt du 13 mars 2015 n° 13/08116).

L’exclusion de la révision indicielle du loyer à la baisse étant fréquemment stipulée dans les baux commerciaux, la solution arrêtée par la Cour de Cassation est retentissante et a une grande portée pratique.



Selon la Cour de Cassation la clause qui exclut, en cas de baisse de l’indice, l’ajustement du loyer prévu pour chaque période annuelle en fonction de la variation de l’indice publié dans le même temps, est nulle en ce qu’elle exclut la réciprocité de la variation, et entraine la conséquence que le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse.

La Cour de Cassation approuve les Juges de la Cour d’Appel de Paris qui ont retenu que le propre d’une clause d’échelle mobile était de faire varier à la hausse et à la baisse le montant du loyer et que la clause figurant au bail, écartant toute réciprocité de variation, faussait le jeu normal de l’indexation.

La Cour de Cassation, par ailleurs, approuve les Juges de la Cour d’Appel de Paris d’en avoir déduit que la clause devait être, en son entier, réputée non écrite.



  • Classiquement en la matière deux dispositions d’ordre public étaient en discussion.
Tout d’abord l’article L 112-1 alinéa 2 du Code monétaire et financier qui répute non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision.

C’est sur cette disposition que la Cour d’Appel de Paris s’était fondée le 2 juillet 2014 pour dire non écrite la clause litigieuse.

Elle avait considéré qu’en cas de blocage du loyer, à raison d’une variation de l’indice à la baisse, une distorsion se produisait nécessairement entre la période de variation de l’indice et la durée s’écoulant entre deux révisions.



  • La Cour de Cassation n’a pas tranché sur le fondement de cette disposition puisqu’elle fait expressément référence, dans son attendu de principe, à l’absence de réciprocité induite par l’exclusion de la variation à la hausse.
Cette référence à la réciprocité renvoie aux dispositions d’ordre public de l’article L 145-39 du Code de commerce qui dispose que :

« En outre, et par dérogation à l'article L. 145-38, si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire ».

Il est ainsi rappelé que la réciprocité est de l’essence même de la clause d’indexation dont l’objet est de protéger les parties contre les risques de variation de la valeur de la monnaie de paiement et d’éviter le déséquilibre qui en résulterait pour l’une d’elles.

La décision de la Cour de Cassation met donc un terme aux divergences jurisprudentielles et doctrinales et condamne désormais irrévocablement les clauses d’indexation ne variant qu’à la hausse.



  • Se trouve également condamné par la même décision l’espoir qu’avait pu susciter la Cour d’Appel de Versailles le 10 mars 2015 qui avait considéré que seule devait être réputée non écrite la stipulation qui interdisait la variation du loyer à la baisse ce qui laissait subsister la stipulation prévoyant l’indexation automatique du loyer ( qui du coup pouvait jouer librement à la hausse ou à la baisse).
La clause d’indexation est la plupart du temps rédigée de telle sorte que le calcul du loyer s’effectue en deux étapes :

- Stipulation prévoyant l’indexation automatique du loyer par le jeu des indices,

- Stipulation distincte précisant que seul le loyer indexé à la hausse sera appliqué, ce qui exclu la variation du loyer à la baisse.


Il pouvait apparaître logique de considérer que ces deux stipulations n’entretiennent pas de lien matériel, naturel ou intellectuel d’interdépendance ni de réciprocité et sont au contraire tout à fait divisibles.

La première stipulation prévoit un mécanisme d’indexation automatique du loyer.

La seconde en restreint le champ d’application.

Cette divisibilité est renforcée par la rédaction même de la clause qui en fait deux stipulations nettement distinctes et, on pouvait le penser, autonomes.

Il pouvait donc être soutenu que seule la stipulation limitant à la hausse le jeu de l'indexation devait être neutralisée, le principe de l'indexation sans limitation devant pouvoir survivre dans la mesure où il est pleinement légal et où il correspond à la commune intention des parties qui était de soumettre le loyer au système de l’indexation automatique.

Telle n’est pas la position de la Cour de Cassation en l'état de son arrêt du 14 janvier 2016.

Elle considère que c’est la clause en son entier qui doit être réputée non écrite.



Cette solution a un impact considérable pour le bailleur qui doit restituer l’intégralité des loyers trop perçus en application de la clause d’indexation et non pas seulement à compter de la période au cours de laquelle le jeu de l'indice aurait dû entrainer une baisse du loyer.



  • Reste néanmoins plusieurs questions en suspens.
Si l’on reprend précisément les termes de l’arrêt du 14 janvier 2016 la Cour de Cassation estime à la fois que la clause est nulle et à la fois qu’elle est réputée non écrite…

On sait qu’une clause nulle est en principe soumise à prescription alors que l’action en reconnaissance du réputé non écrit ne le serait pas.

La violation de l'article L 145-39 du Code monétaire et financier était sanctionné avant la Loi Pinel du 18 juin 2014 par la nullité.

Elle est aujourd’hui sanctionnée, par "le réputé non écrit".



Pour la doctrine :



(i) Si le raisonnement est fondé sur l’article L 145-39 du Code de commerce;



La clause d’échelle mobile qui ne varie qu’à la hausse, doit être annulée si elle se trouve stipulée dans un bail conclu avant l’entrée en vigueur de la Loi Pinel.

L’action en nullité est alors soumise à la prescription biennale de l’article L 145-60 du Code de commerce.

A l’inverse, si le contrat a été conclu ou renouvelé à compter du 20 juin 2014, la clause est soumise à l’action en "réputé non écrit" qui doit être soumise à la prescription quinquennale.

La question reste cependant ouverte car, pour d’autres, la sanction du "réputé non écrit" rend l’action imprescriptible…


(ii) Si le raisonnement est fondé sur la violation de l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier, alors la clause doit être réputée non écrite avec la même discussion non clairement tranchée à ce jour quant au régime de prescription applicable.

Il faut sur le sujet signaler l'arrêt rendu par la Cour d’Appel de Paris, le 4 avril 2012, qui a considéré, après avoir réputé non écrite une clause d’indexation sur le fondement de l’article L 112-1 du Code monétaire et financier, que l’action en répétition d’indu, conséquence de l’invalidation de la clause d’indexation est soumise à la prescription quinquennale.

Cette solution a été réaffirmée par un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Colmar le 28 janvier 2015 (CA COLMAR, 28 janvier 2015, N° 68-2015).

Le débat n’est donc pas définitivement tranché.



Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © herreneck - Fotolia.com

Auteur

THILL Franck
Avocat Associé
THILL-MINICI-LEVIONNAIS & Associés
CAEN (14)
Voir l'auteur Contacter l'auteur Tous les articles de l'auteur Site de l'auteur

Historique

<< < ... 39 40 41 42 43 44 45 ... > >>
Navigateur non pris en charge

Le navigateur Internet Explorer que vous utilisez actuellement ne permet pas d'afficher ce site web correctement.

Nous vous conseillons de télécharger et d'utiliser un navigateur plus récent et sûr tel que Google Chrome, Microsoft Edge, Mozilla Firefox, ou Safari (pour Mac) par exemple.
OK