Publicité déloyale : la CJUE condamne des professionnels organisateurs de loterie

Publié le : 21/01/2013 21 janvier janv. 01 2013

Par un arrêt en date du 18 octobre 2012, la Cour de Justice de l'Union Européenne développe une conception sévère de la notion de pratique agressive. Une double acception du terme de consommateur est également mise en lumière.

Une conception sévère de la notion de pratique agressivePar un arrêt du 18 octobre 2012 (C-428/11), la Cour de justice de l’Union européenne a récemment dit, en interprétation de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales que l’annexe I de cette directive «interdit les pratiques agressives par lesquelles des professionnels (…) donnent l’impression fausse que le consommateur a déjà gagné un prix, alors que l’accomplissement d’une action en rapport avec la demande de ce prix, qu’il s’agisse d’une demande d’information relative à la nature dudit prix ou de la prise de possession de celui-ci, est subordonné à l’obligation, pour le consommateur, de verser de l’argent ou de supporter un coût quelconque.

Il est sans incidence que le coût imposé au consommateur, tel le coût d’un timbre-poste, soit négligeable par rapport à la valeur du prix ou qu’il ne procure aucun bénéfice au professionnel.

Il est sans incidence également que les actions en rapport avec la demande d’un prix puissent être réalisées selon plusieurs méthodes proposées au consommateur par le professionnel, dont au moins l’une d’entre elles serait gratuite, dès lors que l’une ou plusieurs des méthodes proposées supposent que le consommateur supporte un coût pour s’informer au sujet du prix ou des modalités d’obtention de ce dernier.

Il appartient aux juridictions nationales d’apprécier les informations fournies aux consommateurs à la lumière des considérants 18 et 19 de la directive 2005/29 ainsi que de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle-ci, c’est-à-dire en tenant compte de la clarté et de la compréhensibilité de ces informations par le public ciblé par la pratique suivie

Ce faisant, la Cour de justice adopte une conception très sévère de la notion de pratique agressive, ne laissant que très peu de marge aux Etats membres, ce que l’on peut penser naturel dans une directive dite d’harmonisation maximale. Les Etats membres n’ont de liberté que dans ce qui n’est pas dit par la directive (laquelle ne dit rien, par exemple, sur les sanctions). Dès lors que la Directive a posé la règle, l’interprétation ressort du pouvoir de la Cour de justice pour toute ambiguïté du texte et lie le juge national au même titre que la directive telle qu’elle a été intégrée dans l’ordre national (v. Com. 13 juillet 2010 pourvoi n° 09-15.304 Bull. Civ. IV n° 127). Ce ne sont ainsi pas à proprement parler les Etats membres qui ont une quelconque liberté d’interprétation, mais les juges nationaux auxquels il est renvoyé pour déterminer la «compréhensibilité des informations fournies».

Encore ces juges sont-ils bien encadrés sur ce point puisque c’est «à la lumière des considérants 18 et 19 de la directive 2005/29» qu’ils doivent se prononcer. Qu’il soit ainsi fait une référence directe aux «considérants» est amusant ; cela démontre que ceux-ci sont pris comme source de droit à part entière, partie intégrante de la directive même, et ayant, comme elle, «force de loi » (au sens large du terme). Selon ces considérants, le consommateur pris en compte est d’une part le consommateur «moyen», c’est-à-dire celui «qui est normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, compte tenu des facteurs sociaux, culturels et linguistiques» – le bon père de famille français, le reasonable man anglais, critère donc particulièrement élevé ; d’autre part «lorsque certaines caractéristiques, telles que l'âge, une infirmité physique ou mentale ou la crédulité, rendent un groupe particulier de consommateurs particulièrement vulnérable à une pratique commerciale ou au produit qu'elle concerne, ou lorsque le comportement économique de ce seul groupe de consommateurs est susceptible d'être altéré par cette pratique d'une manière que le professionnel peut raisonnablement prévoir, il y a lieu de veiller à ce que ce groupe soit suffisamment protégé, en évaluant la pratique en cause du point de vue du membre moyen de ce groupe ».

Coexistent donc deux critères du consommateur : l’un objectif, l’autre subjectif. Le premier est celui qui doit être appliqué par principe, sauf s’il est démontré une certaine «incapacité». On aurait beaucoup à écrire sur ces «incapacités» d’un type nouveau, tel que le «vieil âge» ou la «crédulité ». Quoi qu’il en soit, ces critères ainsi posés justifieraient sans doute un certain contrôle de la part de la Cour de cassation : il appartient aux juges du fond de motiver leur décision soit sur la réaction du consommateur «moyen», soit sur «l’incapacité» du consommateur. Aux avocats de les mener vers cette motivation, qu’ils représentent l’organisateur de jeux, ou le consommateur.

Quant à l’apport direct de l’arrêt, il réside essentiellement dans l’interprétation qui est faite du point 31 de l’annexe I de la directive qui vient décrire l’une des pratiques agressives condamnées. L’annexe I de la directive énumère les «pratiques déloyales en toutes circonstances» et les points 24 à 31 sont consacrés aux pratiques déloyales agressives.

Aux termes du point 31, sont ainsi qualifiées celles qui donnent «la fausse impression que le consommateur a déjà gagné, gagnera ou gagnera en accomplissant tel acte un prix ou un autre avantage équivalent, alors que, en fait, - soit il n'existe pas de prix ou autre avantage équivalent ; - soit l'accomplissement d'une action en rapport avec la demande du prix ou autre avantage équivalent est subordonné à l'obligation pour le consommateur de verser de l'argent ou de supporter un coût» (repris textuellement, dans le Code de la consommation, à l’article L. 122-11-1, 8°).

La High Court anglaise, saisie d’une demande émanant de l’Office of Fair Trading à l’encontre de plusieurs sociétés aux fins d’obtenir une injonction ordonnant à ces professionnels de cesser de distribuer certains types de publicités, avait considéré que le point 31 n’était pas applicable si le paiement exigé était d’un montant modique (correspondant à l’achat d’un timbre-poste ou au coût d’un appel téléphonique ordinaire), si aucune partie de celui-ci ne bénéficiait au professionnel concerné et si ce paiement était négligeable par rapport à la valeur du prix gagné.

Sur appel, devant la Court of Appeal, cette dernière a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle en interprétation. Deux questions plus spécifiquement se posaient (en étaient posées 5) :

→Y a-t-il pratique déloyale même lorsque le coût supporté est négligeable par rapport au gain ?

→Y a-t-il pratique déloyale même lorsque le consommateur a la possibilité d’obtenir le gain annoncé de différentes façons, dont l’une sans aucun coût ?

A ces deux questions, la Cour de justice répond par une interprétation très favorable au consommateur : peu importe le coût supporté pour obtenir le gain, la pratique est agressive dès lors que cette pratique «donne la fausse impression» que ce gain ne peut être obtenu que par une action positive, de la part du consommateur, lui coûtant ne serait-ce qu’un euro et quand bien même il existerait d’autres moyens pour le consommateur d’obtenir le gain sans que cela lui coûte un centime.

Selon ce que retient la Cour de justice (cons. 29), la «fausse impression» n’est pas «indispensable à la compréhension de la phrase» ; il y a pratique déloyale non seulement lorsqu’il y a fausse impression sur l’obtention du gain (faire croire que le consommateur a gagné, gagnera ou gagnera s’il accomplit tel acte), mais encore lorsque l’obtention du gain est susceptible d’entraîner un coût quelconque pour le consommateur. Il ne suffit pas d’annoncer que le gain est subordonné au coût ; on ne peut ni subordonner le gain à un coût quelconque, ni même proposer l’obtention du gain par une méthode impliquant un coût quelconque au consommateur. Si celui-ci a gagné, c’est spontanément que le professionnel doit lui remettre le gain, sans attendre une quelconque réclamation.

«Compte tenu du caractère absolu de l’interdiction d’imposer un coût, le fait de proposer plusieurs options ne saurait supprimer le caractère déloyal de la pratique lorsque certaines des options proposées imposent au consommateur de supporter un coût, quand bien même celui-ci serait négligeable au regard de la valeur du prix» (cons. 34). C’est là me semble-t-il aller un peu plus loin que ne le disait le texte qui interdisait que «l'accomplissement d'une action en rapport avec la demande du prix ou autre avantage équivalent (soit) subordonné à l'obligation pour le consommateur de verser de l'argent ou de supporter un coût.»

La Cour de justice de l’Union européenne l’a dit ; c’est désormais la loi ; dura lex, sed lex.



Cet article a été rédigé par Pauline REMY-CORLAY



Cet article n'engage que son auteur.

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