Procédure civile: sur les dispositions 18, 19 et 21 du décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 applicables à compter du 1er avril 2015

Publié le : 07/04/2015 07 avril avr. 04 2015

Les dispositions 18, 19 et 21 du décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 (JO 14 mars 2015) applicables à compter du 1er avril 2015, n'ont pu échapper à personne. Elles font l'actualité des prétoires et obligent les professionnels de la procédure judiciaire, à commencer par les avocats et les huissiers, à s'y acclimater dans des délais extrêmement courts.Ces dispositions instituent "l'obligation" dans les actes introductifs d'instance visés aux articles généraux 56 et 58 du Code de Procédure civile de préciser "les diligences entreprises en vue de parvenir à une solution amiable du litige".

A la lecture de ces nouvelles dispositions, plusieurs interrogations demeurent quant à leur contenu et à leur portée (1) et quant à leur mise en œuvre concrète (2).


1. Les interrogations théoriques

Suivant une lecture littérale des nouveaux textes, dès le 1er avril 2015, il ne sera plus envisageable d'introduire une instance par requête, déclaration ou assignation sans justifier, dans l'acte, de la tentative de résolution amiable.

Une exception toutefois à cette obligation tient au fait d'avoir un motif légitime tenant à l'urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu'elle intéresse l'ordre public.

Quant à "l'urgence", on songe immédiatement aux procédures de référé (articles 808, 872… du Code de procédure civile) fondées sur cette circonstance. Mais en appréhendant cette notion "d'urgence" dans un sens plus générique, rien ne permet d'en exclure les cas de référé engagés en prévention d'un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite (articles 809 al. 1, 873 al. 2… du Code de procédure civile).

Par ailleurs, passant d'une conception objective (comme précédemment) de la notion d'urgence à une conception plus subjective, "l'urgence" ne pourrait-elle se caractériser, pour un demandeur à l'instance, par la survenance proche du terme d'un délai de prescription ou de forclusion ne lui laissant pas d'autres choix que d'assigner sans pouvoir attendre l'issue d'une tentative de résolution amiable ?

La Jurisprudence sera, sans nul doute, conduite à préciser les contours de cette notion d'urgence.


Pour le "motif légitime" tenant à la "matière considérée", la pratique (par les avocats) pourra faire œuvre d'autant plus créatrice que celle qui intéresse l'ordre public n'est pas visée par le texte en exclusivité mais "en particulier".


En toutes hypothèses, ces interrogations n'ont de réel intérêt qu'eu égard aux risques encourus en cas de non respect de ces nouvelles "obligations".

C'est le point délicat !


Les premiers analystes paraissent retenir une application assez souple, considérant pour certains, qu'aucune sanction n'est prévue, ce notamment au regard de l'article 21 du décret qui prévoit, par ajout à l'article 127 du Code de procédure civile, qu'à défaut de justification des diligences entreprises "le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation" (notamment A. MAZENQ "mention de la tentative de négociation dans l'assignation : un pétard mouillé " in Dalloz Actualité du 18 mars 2015).


En tout état de cause, les facultés données au juge se limitent aux procédures de conciliation ou de médiation.



On constate, quant aux dispositions de l'article 1360 du Code de procédure civile, que les diligences visées par ce texte le sont à peine d'irrecevabilité, ce que la jurisprudence applique (par ex. civ. 1, 28 janvier 2015, pourvoi n° 13-50049).

Mais dans ce dernier texte, la sanction de l'irrecevabilité s'applique sans discussion aux diligences qui y sont visées.

Or les articles 56 et 58, qui intégreront les nouvelles dispositions des articles 18 et 19 du Décret, sont libellés différemment.

Aussi, sur la base de la jurisprudence de la Cour de cassation (cf. Civ. 2, 3 avril 2003, pourvoi n° 00-22066), relative à l'alinéa 2 de l'article 56 du CPC, certains considèrent, par analogie, que le non respect des nouvelles dispositions ne sera pas sanctionné par la nullité de l'acte (A. MAZENQ , préc.)

Toutefois, certaines juridictions du fond (notamment TGI le Mans, 22 mars 2007, juris-data n° 2007-331019), postérieurement à l'arrêt de la Cour de cassation susvisé, semblent considérer que la sanction de la nullité s'applique aussi aux dispositions de l'alinéa 2 de l'article 56 du CPC.

Il parait donc hâtif de considérer que l'application combinée des articles 56/58 et 127 du Code de procédure civile actualisés au 1er avril 2015 ne conduira pas certains juges à sanctionner, par la nullité, leur non respect.



2. Les questions pratiques


Quelles diligences effectuer?

Les textes ne les précisent pas. On peut donc penser que tout type de diligence à la condition d'avoir une consistance réelle, est envisageable : simple négociation, processus collaboratif, procédure participative, médiation et conciliation.

Quoi qu'il en soit et les créanciers institutionnels s'orientent, à juste titre, dans cette direction, en encadrant leur proposition de résolution amiable dans des délais serrés pour éviter des comportements dilatoires notamment en cas de survenance proche du terme de la prescription applicable (biennale surtout), à moins que le débiteur accepte de reconnaitre par écrit la créance (art. 2240 du Code civil).


Suivant quelle forme les engager ?

Aux fins de preuve, la forme écrite recommandée avec AR paraît s'imposer. Le défendeur devrait alors répondre, puisque l'abstention ou le refus autorise la mise en œuvre de la procédure.

De ce point de vue, les discussions confidentielles entre avocats ne répondent pas aux prescriptions de ces textes. La forme officielle devra être utilisée avec, toutefois, des risques d'abus.



Suivant quelle forme en constater l'échec ?


  • si un tiers extérieur intervient (médiateur, conciliateur), il conviendra de lui demander d'établir un écrit prenant acte de l'échec de la tentative.


  • Par lettre recommandée avec AR adressée directement à la partie adverse, constatant l'échec de toute tentative amiable.


  • Si les diligences sont faites par avocats, ils devront échanger par courriers officiels.


Comment les justifier dans le cadre de l'introduction de l'instance ?

Les assignations notamment pourraient contenir en-tête un encadré précisant les mesures entreprises et leur échec avec pièces justificatives.



Les auteurs de cet article:Stéphane ASENCIO et Juliette ANDRE, avocats à Bordeaux.



Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © fotodo - Fotolia.comOn constate, quant aux dispositions de l'article 1360 du Code de procédure civile, que les diligences visées par ce texte le sont à peine d'irrecevabilité, ce que la jurisprudence applique (par ex. civ. 1, 28 janvier 2015, pourvoi n° 13-50049).

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