Politique familiale: la fiscalisation des prestations familiales

Publié le : 26/03/2013 26 mars mars 03 2013

« … Mais le vert paradis des amours enfantines, Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets, Les violons vibrant derrière les collines… » (Charles Baudelaire in Les fleurs du mal – spleen et idéal)


Une question à la congruence de la politique de l'économie et du droit Ah … le doux parfum de l’enfance…

Combien d’hommes et femmes célèbres ont-ils eu l’occasion d’évoquer avec le plus grand bonheur leurs plus jeunes années, mais aussi, quelle évolution ont-ils fait dans leur regard sur les enfants !Et voilà qu’en France une idée nouvelle est apparue : celle qui concrétise une politique familiale avancée, juste, équilibrée… Mais au juste, qu’est ce qu’une « politique familiale » ? La notion de «politique familiale» en France englobe les diverses politiques publiques successives que notre pays a voulu et vécu. Ainsi, les politiques familiales menées par les divers pouvoirs publics ont mis en œuvre des mesures et appliqué des budgets afin de favoriser : - la natalité :En effet, au cours du XXème Siècle, la France a mis en place une politique de natalité qui passe par des aides spécifiques aux personnes ayant des enfants. La loi Landry (11 mars 1932) a mis en place des caisses chargées d'aider les salariés ayant deux enfants. Une nouvelle loi, en 1938 a mis en place les allocations familiales, versées sans conditions de ressources à toutes les familles, avec un barème progressif qui augmente en fonction du nombre d'enfants et sans tenir compte des revenus du ménage.Fixé dans le droit avec les ordonnances de sécurité sociale de 1945 et la loi du 22 août 1946, ce découplage entre niveau de revenus et niveau des prestations familiales perdure, au point de constituer un pilier de la politique de la famille en France : que l'on soit riche ou pauvre, on touche des allocations familiales en fonction de son nombre d'enfants.

En 2013, en France, toute famille a droit à 127 euros par mois à partir de deux enfants, et jusqu'à 452 euros pour quatre enfants, plus 162 pour chaque petit supplémentaire. - la famille (objectif de compensation des charges de famille etc.).La politique familiale est ainsi aujourd’hui le résultat des objectifs variés des différents gouvernements qui sont intervenus et qui nous ont fait hériter d’un ensemble cohérent composé : *d’allocations et de mesures fiscales pour compenser les charges liées à la présence d’enfants, **de mesures de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle, ***de mesures de soutien à la fonction parentale, ****ainsi que d’un droit de la famille qui garantit une protection aux projets familiaux et à leur réalisation. Or, la France est confrontée à un enjeu de taille : résoudre ses déficits. Tous ses déficits.

Et ici … comme ailleurs, le déficit de la branche familiale est de taille … on s’en doutait. Chargé par M. Le Premier Ministre de remettre des propositions le Haut Conseil de la Famille a déjà fixé un « effort annuel d’économies de 2.2 Milliards d’euros » sur deux ans… cela fait froid dans le dos. Afin d’y faire face, il y a peu, le Premier Président de la Cour des Comptes a suggéré de « fiscaliser les prestations familiales » afin d’augmenter les recettes de l’Etat. Rentrons donc dans le vif du sujet : Est-ce LA solution ? En effet, comment redresser la pente de ces 2,2 milliards d’euros ? Est-ce le bon moment, en période de crise … pour faire des économies dans cette branche-ci : doit-on faire ici des coupes sombres ? Je vous renvoie à la belle phrase de Charles Gide, Théoricien de l’économie sociale : «De tous les investissements qu’une nation puisse envisager, c’est l’éducation des enfants qui est la plus rentable» Ne doit-on pas imaginer la politique familiale autrement aujourd’hui (cf. les nouvelles familles monoparentales, recomposées etc … L'étude de la jurisprudence nous permettant de dégager une définition de la famille lato sensu. Cf. les critères d'appréciation de la vie maritale et des règles en matière de charge de la preuve en la matière, la mise en cause du concubin dans l'action en répétition d'indu souvent évoquée dans ce type contentieux etc….) ? Ainsi : LA POLITIQUE FAMILIALE SE RESUME-T-ELLE A L’EQUILIBRE DES COMPTES ? Tentatives de réponse :

I – LA FISCALISATION DES ALLOCATIONS FAMILIALES ? UNE QUESTION POLITIQUE PLUS QUE JURIDIQUE ou ECONOMIQUE … Cette question dérangeante se pose fréquemment, ce n’est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière qu’on réagira à cette possibilité. Cela relève plus du débat politique que du débat juridique ou économique. Ainsi, nous sommes habitués à ce qu’on nous propose :- soit « la mise sous conditions de ressources des allocations familiales » :

En pratique, cela signifie qu'on intégrerait au calcul des prestations familiales la question du revenu des parents. A l'heure actuelle, selon la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), 4,92 millions de familles, soit 73 %, perçoivent des allocations familiales. Parmi elles, des familles très aisées qui auraient « pu » se passer de cette prestation. D'où la tentation politique de dire qu'en période de crise et de rigueur budgétaire, on pourrait réfléchir à une mise sous conditions de ressources. Evoquée depuis très longtemps (Raymond Barre en parlait déjà en 1987), l'idée n'a été mise en pratique qu'une fois, Lionel Jospin avait en effet instauré un plafond aux allocations familiales. Fixé à 25 000 francs (3 800 euros) par mois par foyer, il avait abouti à supprimer les aides pour 351 000 foyers, occasionnant, selon la caisse d'allocations familiales, 837 millions d'euros d'économies. Mais le projet, combattu à la fois par les caisses d'allocations familiales et par l'opposition de droite, a capoté, malgré les tentatives d'aménagement successives, qui ont notamment augmenté le plafond à 32 000 francs (4 200 euros). Lionel Jospin a fini par abandonner cette idée, pour la remplacer par un abaissement du plafond du quotient familial. - soit : « la fiscalisation des prestations familiales »Il s'agit là de considérer que les prestations familiales sont un revenu et de les soumettre au barème de l'impôt, avec d'éventuels aménagements. Raymond Barre le proposait également en 1987. Alain Juppé avait, lui aussi, évoqué cette possibilité en 1995. Mais le projet, arrivé à l'Assemblée après les manifestations contre sa réforme des retraites de la fonction publique dont on se souvient encore, a été annulé ou « oublié »….

Enfin, un troisième cas mérite d'être évoqué : celui de Bruno Le Maire. L'ancien ministre de l'agriculture (chargé de mettre en avant le programme du candidat N. SARKOZY). Il avait lui aussi proposé une fiscalisation des allocations familiales, en contrepartie d'une allocation donnée dès le premier enfant, ce qui lui permettait d'équilibrer son projet. ON POURRAIT AINSI IRONISER :FISCALISATION DES PRESTATIONS FAMILIALES , LA DROITE EN REVAIT, LA GAUCHE RISQUE DE LE FAIRE … Là encore, la proposition, jugée électoralement dangereuse, avait été rapidement abandonnée, comme à chaque tentative de revenir sur la politique familiale française. L'urgence budgétaire rendra-t-elle la situation différente en 2013 ?On peut en douter. Mais la réponse comme je le précisais préalablement sera politique plus que juridique et économique.Le gouvernement a annoncé attendre la remise d'un rapport sur la question pour se décider.Pourtant, François Hollande, questionné par l'Union nationale des associations familiales (U.N.A.F.) durant la campagne, avait jugé que "les allocations familiales n'ont pas à être imposées". Nous restons donc sceptique sur les suites qui seront données.

II – FISCALISATION DES PRESTATIONS FAMILIALES ? EST-CE LE VRAI DEBAT ? L’enfant est le miracle qui a fait l’humanité.Du plus loin de la mythologie, déjà, la sphinge l’évoquait :- « Il est sur terre un être à une voix, ayant deux et quatre et trois pieds ; seul il change parmi ceux qui vont sur le sol, en l’air et dans la mer ; mais quand il marche en s’appuyant sur plusieurs pieds, c’est alors que son corps a le moins de vigueur. » Oedipe découvre malicieusement la solution :- « ô chanteuse des morts au vol sinistre, écoute malgré toi notre voix qui met fin à tes crimes. C’est l’homme qui petit, étant sorti du sein, a d’abord quatre pieds lorsqu’il se traîne à terre ; puis vieux, comme un troisième il appuie son bâton, quand sous le faix de l’âge, il tient courbée la nuque »(in Argument des Phéniciennes d’Euripide, 1950). Pour les sages grecs, l’enfant se trouve au cœur de l’aventure humaine, il en est le maillon fort, sans lui : plus rien… Certes ce cas de figure reste impossible mais a le mérite de nous faire ressentir très fort l’importance de cette période de la vie. Il nous faut placer tous nos atouts : l’amour, l’intelligence, les finances pour la santé et l’éducation. Alors, face à ces évidences, pourquoi tenter « coûte que coûte » d’équilibrer la branche familiale de la sécurité sociale alors que notre société elle même montre ses failles à divers endroits, la population française revendiquant sans arrêt une politique différente allant même jusqu’à descendre dans les rues… ?

Comme expliqué en introduction, les principes de la politique familiale actuelle ont été posés à partir d’une vision de la société qui prévalait il y a plus de 70 ans. Même si des changements sont intervenus, ces principes sont toujours présents. Ainsi notre société ayant évolué il est nécessaire de renégocier les fondements des politiques familiales. Comment l’Etat doit se comporter par rapport aux diverses familles françaises ? C’est à cette question qu’il nous faut répondre. L’un des objectifs de la politique familiale actuelle est le soutien de la natalité. Les aides s’accroissent avec le rang de l’enfant comme par exemple l’attribution d’une demi-part fiscale supplémentaire par enfant à partir du troisième enfant. Afin de rationaliser les dépenses, la suppression de cette demi-part fiscale devrait être au 1er rang des propositions visant à rééquilibrer les comptes. De même, les allocations familiales ne sont versées qu’à partir du deuxième enfant. La France est l’un des seuls pays européens à ne pas accorder d’allocation familiale dès le premier enfant. Ainsi, le taux intéressant de fécondité en France ne peut pas être le résultat de la politique familiale, mais résulte plutôt du soutien de l’activité des femmes ayant des enfants : les crèches, les maternelles, l’accueil périscolaire, l’accueil de la petite enfance, mais aussi la valorisation des femmes actives. La politique familiale doit être redirigée vers un objectif reposant sur les droits de chaque enfant quel que soit son rang de naissance. Elle doit être centrée sur un mode d’acquisition de droits sociaux plus individuel de la naissance à la mort. Une politique familiale que nous repenserions pourrait tendre vers un principe d’égalité entre les enfants et d’égalité entre femmes et hommes avec notamment une refonte des aides à la petite enfance, un accroissement massif des modes de garde associé à une modification du congé parental.Il s’agit là du véritable défi à relever. La montée des unions libres, mais aussi des divorces, des séparations lato sensu et les recompositions familiales démontrent la liberté individuelle de plus en plus importante concernant les choix de vie des français. Ceci est le signe d’une société qui se libéralise fortement. Cependant, ces séparations – qui ne sont parfois ouvertes qu’aux plus aisés des français, nonobstant les aides juridiques servies par l’Etat- entraînent incontestablement une baisse du niveau de vie et ce que nous voyons dans nos cabinets d’avocats c’est que souvent les conséquences négatives pèsent sur les femmes plus que sur les hommes : d’où nos diverses tentatives d’obtenir les meilleures pensions alimentaires ou prestations compensatoires. Tout cela nous fait penser et affirmer que ces nouvelles formes de pauvreté doivent être prises en considération par nos institutions ; ainsi notre politique familiale française doit être refondue en profondeur et non simplement redécoupée en surface avec un seul rééquilibrage des comptes. Restons pointilleux et précautionneux pour toucher à l’icône de la politique française… car l’histoire nous démontre qu’il faut se méfier lorsque l’on touche aux icônes …

A ce sujet, citons la politique (qui a eu force de loi) de l'enfant unique ou l’enfant « roi » en Chine. Cette politique qui condamnait la population à payer une taxe pour l’enfant « supplémentaire » a totalement ébranlé ce grand pays … Qui aurait pu prévoir en Chine le bouleversement qui s’en est suivi ? Alors, sagement, laissons nos enfants comme ils sont, les riches et les pauvres. Regardons les progresser, apprendre mieux que nous… ne touchons pas à ce qui n’est pas un avantage, mais notre vie. Donnons leur la chance de celui … qui marche à 4 pattes le matin, à 2 à midi et à 3 le soir : notre soir arrive, le matin de leur vie est là.


Cet article a été rédigé par Vanessa ABOUT.
Il n'engage que son auteur.

 

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