Mémoires d'un trader: analyse de l'ouvrage de Jérôme Kerviel

Mémoires d'un trader: analyse de l'ouvrage de Jérôme Kerviel

Publié le : 12/05/2010 12 mai mai 05 2010

Dans son ouvrage, si Jérôme Kerviel admet avoir effectué des actes pouvant sortir des cadres réglementaires et déontologiques usuels de son activité, il l'a fait en pleine connaissance de ses supérieurs.L'engrenage - Mémoires d'un trader


Besoin de justification et/ou plaidoyer pro domo, M. Jérôme KERVIEL, par la publication des présentes Mémoires, fait incontestablement œuvre de communication. La question se pose alors d'en découvrir la cible.

La lecture des 268 pages de cet ouvrage, ne laisse toutefois que peu de doutes : il s'agit du monde de la finance et de la justice.

Cet objectif explique tant le style que la tonalité de ces Mémoires.

M. Jérôme KERVIEL y soutient une idée essentielle, sa ligne directrice de défense dans cette affaire. S'il admet avoir effectué des actes pouvant sortir des cadres réglementaires et déontologiques usuels de son activité, il l'a fait en pleine connaissance de ses supérieurs.

C'est cet engrenage dont il fait état, celui d'un système où le gain appelant le gain, le trader devenant "gagneuse" (selon le jargon cité par l'auteur) se déshumanise pour devenir une machine à cash-profit. Ce film que l'auteur fait alors défiler nous renvoie tantôt à "wall Street" (qu'il cite d'ailleurs) tantôt à "Matrix".

Dans ce contexte décrit comme grisant et concurrentiel, le trader peut prendre des décisions qui relevant du pari, s'avéreront gagnantes ou perdantes.

Bien que n'étant pas toutes officiellement régulières, l'auteur indique que, selon les circonstances certaines pratiques sont tolérées ou condamnées.

A son égard, elles auraient été tacitement admises jusqu'en janvier 2008, jusqu'à ce que le marché boursier ne contienne plus la crise dite des "subprimes", révélées en juillet 2007 et que son employeur comme d'autres institutions financières, subisse d'importantes pertes.

M. Jérôme KERVIEL souligne alors la rapidité de la chute, son éviction de la Banque dans un climat tendu mais en apparence cordial, le déchaînement médiatique puis la machine judiciaire.

Chaque lecteur pourra se forger son opinion sur cette affaire et considérer M. Jérôme KERVIEL comme le mauvais perdant d'un jeu dont il n'aurait pas respecté les règles ou au contraire comme le bouc émissaire "d'un système financier devenu fou" (selon l'auteur en 4ème de couverture).

Le mémorialiste n'est toutefois pas dénué de finesse, faisant preuve de grande retenue dans les griefs adressés aux financiers, magistrats, avocats. Seule la presse se voit refuser ces égards.

Cette posture sert incontestablement le rhéteur en sa cause.

On lui reprochera cependant une insuffisance de pédagogie.

Bien que reprochant à certains des acteurs du monde médiatique et judiciaire (les magistrats instructeurs dont M. Renaud Van RUYMBEKE, certains de ses avocats) qui sont intervenus dans son dossier, de ne pas suffisamment connaitre, à son détriment, le fonctionnement du système financier, M. Jérôme KERVIEL peine toutefois à se mettre à la portée du profane en finance.

Son propos aurait mérité d'être parfois moins abscons. Il y aurait gagné en efficacité.

Néanmoins, il faut reconnaître à l'auteur une certaine réussite en termes de sensibilité.

Le lecteur est bien conduit à saisir les sentiments d'un individu seul face aux rouages d'une justice pénale faite de rudesse mais non dépourvue d'humanité (M. VAN RUYMBEKE, le personnel de police ou pénitentiaire).

M. Jérôme KERVIEL dépeint avec une certaine justesse le fonctionnement de notre système judiciaire davantage donc que celui de la finance à l'origine de ses difficultés.

Finalement dans sa description du combat du pot de terre contre le pot de fer, l'auteur, parce que c'est la difficulté de l'exercice et celle de ses avocats, réussit mieux son combat de prévenu que de trader.

Mais nous ne sommes juges que de son ouvrage pas des infractions qui lui sont reprochées.

Le hasard de l'actualité fait que cet ouvrage est diffusé en pleine crise monétaire européenne, les institutions financières revenant sur le devant de la scène.

Chance ou malchance pour ces Mémoires et son auteur, les débats qui vont bientôt s'ouvrir nous le diront mais l'attente porte quand même sur leur issue finale.

Peut –être que M. Jérôme KERVIEL en profitera alors pour rédiger un second tome de ses Mémoires.

L'avenir, le sien plus particulièrement, nous le dira.



L'auteur de cet article:Stéphane ASENCIO, avocat à Bordeaux



Cet article n'engage que son auteur.

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