L'évolution de la rémunération du maître d’œuvre et l’économie du contrat

L'évolution de la rémunération du maître d’œuvre et l’économie du contrat

Publié le : 23/05/2013 23 mai mai 05 2013

L’article 9 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maitrise d’ouvrage publique prévoit que le montant de la rémunération du maître d’œuvre tient compte de l’étendue de la mission, de son degré de complexité et du coût prévisionnel des travaux.

L’évolution de la rémunération du maître d’œuvre et le bouleversement de l’économie du contratDans le cas où le coût prévisionnel des travaux n’est pas encore connu au moment de la passation du contrat avec le maître d’œuvre, l’article 29 du décret du 29 novembre 1993 n° 93-1268 relatif aux missions de maîtrise d’œuvre, prévoit que le montant provisoire de la rémunération de ce dernier est basé sur la partie affectée aux travaux de l’enveloppe financière prévisionnelle fixée par le maître d’ouvrage.

Ainsi, dans l’hypothèse où le coût prévisionnel des travaux est inconnu au stade de la passation du contrat de maîtrise d’œuvre, la rémunération du maître d’œuvre est fixée en deux temps :

  • Un forfait provisoire basé sur la partie affectée aux travaux de l’enveloppe financière prévisionnelle
  • Un forfait définitif fixé dans les conditions prévues par le contrat, soit, sur la base de l’estimation prévisionnelle provisoire des travaux établie par le maître d’œuvre lors des études d’avant-projet sommaire, soit, sur la base de l’estimation prévisionnelle définitive des travaux établie lors des études d’avant-projet définitif.
La rémunération du maître d’œuvre peut donc naturellement évoluer entre la détermination du forfait provisoire et la détermination du forfait dit définitif.

Elle peut également évoluer, y compris postérieurement à la fixation du forfait définitif, en cas de modification substantielle du programme ou de prestations décidées par le maître d’ouvrage, une modification envisagée par l’article 2, I de la loi du 12 juillet 1985 précitée (pour une affirmation récente du principe : CAA de Bordeaux, 27 mars 2012, n° 11BX00901).

Quelle que soit son origine, l’évolution de la rémunération du maître d’œuvre interroge, et conduit particulièrement à se poser la question de savoir si cette évolution, concrétisée par l’établissement d’un avenant, est soumise aux dispositions de l’article 20 du code des marchés publiques qui dispose que l’avenant ne doit pas aboutir à un bouleversement de l’économie du contrat.

La difficulté est qu’un marché de maîtrise d’œuvre est un contrat dont le montant évolue par essence, et dont l’évolution est prévisible car envisagée par les textes applicables aux marchés de maîtrise d’œuvre (décret du 29 novembre 1993 et loi du 12 juillet 1985 précités).

Mais est-ce que cette prévisibilité dispense pour autant le maître d’ouvrage du respect des dispositions générales de l’article 20 du code des marchés publics ?

Par un jugement du 6 février 2003, le tribunal administratif d’Orléans s’est prononcé dans le sens de la non application de l’article 20 du code des marchés publics. Il a en effet considéré, que dans l’hypothèse où le marché de maîtrise d’œuvre est conclu avant le stade de l’avant-projet définitif, ni l’évolution du coût des travaux, ni l’augmentation de la rémunération du maître d’œuvre qui peut en résulter, ne sauraient constituer un bouleversement de l’économie du contrat. Ainsi, il en conclut que les dispositions de l’article 20 du code des marchés publics ne trouvent pas à s’appliquer dès lors que l’évolution de la rémunération du maître d’œuvre était prévisible, et envisagée dans le cadre d’une procédure spécifique prévue par le décret du 29 novembre 1993 pour les marchés de maîtrise d’œuvre.

Autrement dit, la règle de l’article 20 du code des marchés publics serait inapplicable en cas d’évolution de la rémunération du maître d’œuvre entre l’estimation prévisionnelle des travaux et l’avant-projet définitif, dès lors que cette évolution est prévisible et envisagée par les textes applicables aux marchés de maîtrise d’œuvre.
Cette solution est critiquable dans la mesure où l’article 20 du code des marchés publics vise de manière générale, tout avenant, quel qu’il soit, de tout contrat, y compris de maîtrise d’œuvre.

D’ailleurs, par un jugement plus récent du 6 janvier 2012 n° 1111213/7-2, le tribunal administratif de Paris a en revanche estimé que les dispositions de l’article 20 du code des marchés publics qui prévoient qu’un avenant ne peut pas bouleverser l’économie du marché, ont une portée générale : « Qu’elles s’appliquent à tout avenant fixant la rémunération du maître d’œuvre, soit que celui-ci se borne à préciser, au vu des études d’avant-projet, le montant définitif des prestations qui, dans le marché initial présentaient un caractère évaluatif, soit qu’il intègre également des modifications de programme ou des modifications de prestations décidées par le maître de l’ouvrage dans la phase d’avant-projet ; qu’il en résulte que si un avenant peut adapter et, le cas échéant, augmenter la rémunération du maître d’œuvre fixée à titre provisoire par le marché initial, il ne saurait bouleverser l’économie de ce marché, ni en changer l’objet ; ». Ainsi, les juges constatent que l’augmentation de la rémunération du maître d’œuvre consécutive en l’occurrence à une modification du programme, et actée par l’avenant fixant la rémunération définitive du maître d’œuvre, qui représente une plus-value de 28,48% par rapport au forfait provisoire fixé dans le marché initial, méconnait l’article 20 du code des marchés publics.

En d’autres termes, même si les marchés de maîtrise d’œuvre constituent des contrats dont le montant est par nature évolutif, il n’en demeure pas moins que l’évolution de cette rémunération ne doit pas faire abstraction des dispositions de l’article 20 du code des marchés publics prohibant le bouleversement, par un avenant, de l’économie du contrat. L’autorisation légale d’une évolution de la rémunération du maître d’œuvre n’est heureusement pas synonyme d’une autorisation du bouleversement de l’économie du contrat.

Cependant, par trois arrêts en date du 25 février 2013, la cour administrative d’appel de Paris est venue infirmer le jugement du tribunal administratif de Paris, en apportant son point de vue, qui, selon nous, est partiellement contestable (arrêts n° 12PA01067, 12PA00864, 12PA00638).

Si elle considère que les avenants aux marchés de maîtrise d’œuvre conclus à prix provisoires sont soumis à la règle générale fixée par l’article 20 du code des marchés publics relatif à l’ensemble des avenants, elle estime toutefois que les caractéristiques du marché et de l’avenant litigieux empêchent ce dernier d’être regardé comme bouleversant l’économie du contrat malgré l’augmentation conséquente du forfait de rémunération. Précisément, la cour affirme que l’avenant litigieux, qui augmente la rémunération du maître d’œuvre de 28,48% « a entendu prendre en compte des évolutions de programme se rapportant à des missions indissociables des prestations du marché initial ; que dans ces conditions, eu égard aux caractéristiques du marché et de l’avenant en cause, ce dernier (…) ne peut être regardé comme bouleversant l’économie du marché ».

En réalité, après avoir confirmé l’application générale de l’article 20 du code des marchés publics à l’évolution de la rémunération des maîtres d’œuvres, la cour vient immédiatement vider de sa portée le principe énoncé en écartant la possibilité de reconnaître un bouleversement de l’économie du contrat lorsque l’avenant entérine des évolutions de programme qui se rapportent à des missions indissociables des prestations du marché initial, nonobstant le fait qu’il augmente la rémunération du maître d’œuvre de près de 29%.

Lorsque l’on sait que les seuils traditionnellement admis par la jurisprudence sont de 15-20% (O. Didriche, AJ Collectivités territoriales, 2012, p. 11), que le projet litigieux concerné était la Canopée des Halles, tout ceci conjugué à l’affirmation d’un principe immédiatement écarté par un raisonnement contestable et alambiqué, l’on peut légitimement s’interroger sur les raisons qui ont poussé la Cour à adopter une telle attitude.


Cet article a été rédigé par Julie VERGER et Thomas DROUINEAU.





Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © julien tromeur - Fotolia.com

Auteur

DROUINEAU Thomas
Avocat
1927 AVOCATS - Poitiers
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