Les dirigeants de fait
Publié le :
02/11/2011
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Dans les sociétés civiles et commerciales ainsi que dans les associations, la Loi et les statuts organisent les pouvoirs de représentation de la société vis-à-vis des tiers ainsi que les règles de gouvernance.
Dirigeant de fait: définition, preuve de la qualité, personnes concernéesProblématique
Dans les sociétés civiles et commerciales ainsi que dans les associations, la Loi et les statuts organisent les pouvoirs de représentation de la société vis-à-vis des tiers ainsi que les règles de gouvernance.
En contrepartie des attributions qui leur sont conférées les dirigeants de droit engagent leur responsabilité tant vis-à-vis de la société et des associés que vis-à-vis des tiers.
Cette responsabilité peut être civile, fiscale, pénale ou relever plus spécifiquement du régime particulier des procédures collectives lorsque la société est en cessation des paiements, le dirigeant pouvant alors être frappé par des sanctions personnelles et patrimoniales.
C’est à l’occasion de la mise en œuvre de ces procédures que l’on détecte parfois un dévoiement des procédures de représentation légale de l’entreprise par l’immixtion dans la gestion d’autres personnes physiques ou morales qui gèrent effectivement l’entreprise en lieu et place des dirigeants légaux.
Ce faisant, ces personnes physiques et morales, avec la complicité ou à cause de l’impéritie des dirigeants en place, engagent leur responsabilité comme s’ils étaient les dirigeants de droit de la société.
Dans la mesure où ils dirigent la société sans avoir été investi par les statuts ou par la Loi d’un quelconque pouvoir de représentation, le Code de Commerce et la jurisprudence les qualifient de dirigeants de fait.
Les actes d’un dirigeant de fait sont irréguliers et donc illicites.
Le dirigeant de droit en titre, qui a abandonné l’exercice de ses fonctions à des dirigeants de fait, n’en reste pas moins dirigeant de droit, et reste soumis au même régime que ceux-ci.
C’est la raison pour laquelle la Loi a aligné le régime de la responsabilité des dirigeants de droit et de fait s’agissant des principales infractions aux droits des sociétés ainsi que dans le cadre des procédures collectives.
En application de nombreuses dispositions du Code de Commerce est sanctionnable :
« Toute personne qui, directement ou par personne interposée, aura en fait exercé la gestion d’une SARL, la direction, l’administration ou la gestion d’une SA et d’une société en commandite par actions sous le couvert ou aux lieu et place des représentants légaux de ces sociétés »
(Code de Commerce article L 241-9, L 246-2, L 245-16, L 245-17 alinéa 2).
La Loi de sauvegarde des entreprises prévoit également la possibilité de poursuivre indifféremment en faillite personnelle, en banqueroute ou en comblement de passif :
« Les personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales » (Articles L 653-1 et suivants du Code de Commerce).
Définition de la direction de fait
Dans la mesure où la Loi n’a pas défini la notion de dirigeant de fait, c’est la jurisprudence qui s’en est préoccupée.
Depuis plusieurs années et de manière constante, la Cour de Cassation définit la direction de fait par :
« L’exercice en toute indépendance d’une activité positive, de direction et de gestion d’une société ».
Cette définition est inlassablement répétée par la juridiction suprême dans la totalité des décisions rendues en la matière et elle ne souffre donc aucune discussion.
Si la Cour de Cassation abandonne l’appréciation de la qualité de dirigeant de fait à l’appréciation souveraine des Juges du fond (Cassation Criminelle, 9 février 2011 ; Jurisdata n° 2011-003128), elle n’en contrôle pas moins avec vigilance les motifs propres à la caractériser, considérant qu’il s’agit d’une notion de droit.
Preuve de la qualité de dirigeant de fait
La charge de la preuve de la qualité de dirigeant de fait repose sur le demandeur à l’action et peut-être rapportée par tous moyens.
Tirant les conséquences de ce qu’il s’agit d’un point de droit, la Cour de Cassation considère toutefois que l’aveu judiciaire n’est pas admissible en la matière, l’aveu ne pouvant porter que sur un point de fait.
(Cour de Cassation Commerciale, 10 mars 2004 ; Jurisdata n° 2004-023159).
La qualité de gérant de fait ne se présume pas.
Un acte isolé est rarement suffisant.
C’est généralement la succession et la répétition d’actes ou de faits significatifs qui permettent de rapporter la preuve exigée par la jurisprudence.
Les personnes concernées
Toute personne peut être qualifiée de dirigeant de fait.
Il peut s’agir de personnes physiques, associées ou non, majoritaires ou non, membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, mais également d’une personne morale comme la société mère vis-à-vis de sa filiale ou la personne morale déléguée dans les organes de direction d’une autre personne morale.
Des tiers peuvent être recherchés en cette qualité comme les banques ou les franchiseurs, lesquels par la connaissance et la maîtrise qu’ils ont sur leurs cocontractants, peuvent à l’occasion des difficultés rencontrées par la société avec laquelle ils sont en relation, être amenés à intervenir directement dans la gestion de cette dernière.
Une intéressante étude du Centre de Recherches sur le Droit des Affaires fait ressortir que la qualité des dirigeants de fait mis en cause sur une dizaine d’années se répartit ainsi :
– Parents (71)
– Associés (56)
– Anciens dirigeants (36)
– Amis (23)
– Salariés de la société (16)
– Fournisseurs (11)
– Directeurs de la société mère (2)
– Banques (2)
– Sociétés mère (2)
La mise en œuvre de cette notion par les juridictions
L’examen des décisions rendues ces dernières années conduit à constater que les décisions des juridictions du fond sont, la plupart du temps, cassées par la Cour de Cassation, laquelle demeure extrêmement exigeante dans la démonstration de la conduite en toute indépendance des affaires sociales par le dirigeant de fait.
L’idée principale qui se dégage de tous les développements jurisprudentiels est que ne peut être qualifié de dirigeant de fait que celui qui se comporte en réalité comme le dirigeant de droit dont il emprunte tous les attributs, notamment la signature d’actes engageant la société vis-à-vis des tiers.
Cette activité doit être exercée en toute indépendance, ce qui conduit la Cour de Cassation à rejeter toute qualification en l’hypothèse où les actes appliqués au dirigeant de fait sont issus de l’exercice d’une procuration, aussi générale soit-elle.
- Ainsi, une simple procuration bancaire ou même la délégation de l’intégralité de l’activité de gestion d’un établissement secondaire sont impropres, selon la Cour de Cassation, à emporter la qualification de dirigeant de fait, ces actes s’inscrivant dans le cadre d’une relation de dépendance en exécution d’un mandat donné par le dirigeant de droit.
Une activité positive de direction ne peut résulter d’actes d’abstention et d’actes isolés tels que l’embauche d’un seul salarié ou l’intervention ponctuelle auprès d’un organisme de crédit.
- En revanche, le directeur salarié d’une association a été considéré comme un dirigeant de fait aux motifs :
– Qu’il s’était considéré comme investi du pouvoir de procéder seul à la conclusion de nouveaux contrats de travail dont le principe se heurtait aux recommandations du conseil d’administration,
– Qu’il avait pris seul la décision d’augmenter la ligne de crédit dont bénéficiait l’association auprès d’un organisme bancaire.
(Cour de Cassation Commerciale, 24 juin 2008 ; Jurisdata 2008-044616).
Mais dans le même arrêt, un autre personnage central de l’association n’est pas considéré par la Cour comme dirigeant de fait alors même :
– Qu’il se comportait comme le personnage central de l’association,
– Qu’il gérait dans leur intégralité les activités artistiques et culturelles qui constituaient l’objet de l’association,
– Que connaissant la situation financière fragile de l’association, il s’était efforcé d’y remédier en réclamant des subventions et qu’il avait initié la procédure de licenciement,
– Qu’il prenait seul les décisions de programmation ou de déprogrammation qui commandaient la situation financière de l’association,
– Qu’il recherchait lui-même les ressources nécessaires à sa survie en se contentant, vis-à-vis des tiers, comme le personnage central de celle-ci,
– Qu’il donnait des instructions à l’autre directeur salarié.
Pour la Cour de Cassation ces motifs sont impropres à caractériser une activité indépendante de gestion.
On voit dans cet exemple que l’intéressé a accompli des actes qui ne débordent pas le cadre de ses fonctions et surtout n’a pas empiété sur les prérogatives du Président ou de son conseil.
- Le 13 février 2007 la Cour de Cassation a considéré que la détention de la signature bancaire par un salarié accompagnée de négociations menées par celui-ci avec l’administration fiscale ne caractérise pas la direction de fait car ces actes sont limités à des opérations ponctuelles ou à certains aspects uniquement de la gestion de la société.
- La gestion de fait ne concerne pas que les petites ou moyennes entreprises dans lesquelles la proximité des associés, époux ou dirigeants de droit est souvent à l’origine de la confusion dans l’exercice des pouvoirs.
On retiendra notamment une évolution de jurisprudence amorcée par la Cour d’Appel de Versailles le 29 avril 2004 et par la Cour de Cassation le 27 juin 2006 qui admet une direction de fait par interposition de personne.
Dans cette affaire, la banque WORMS avait financé l’activité d’une société et avait conclu avec cette dernière un pacte d’actionnaires aux termes duquel il était convenu que deux salariés de la banque siégeraient au conseil d’administration de la société financée.
Ces deux salariés étaient liés par un contrat de travail avec la banque et exerçaient leurs fonctions d’administrateur de la société financée dans le cadre de ce contrat « selon le lien de dépendance qui en découlait et pour le compte de leur employeur ».
Ces deux salariés étaient donc deux dirigeants de droit de la société financée puisqu’ils siégeaient à son conseil d’administration en qualité d’administrateurs.
Cette situation impliquait que l’action de ces salariés au sein du conseil d’administration soit placée sous le contrôle et les directives de la banque dont ils n’avaient pas les possibilités de s’écarter.
Du fait de cette situation la Cour d’Appel de Versailles et la Cour de Cassation considèrent qu’il s’agit d’une interposition de personnes apparentes aux yeux des tiers qui tous savaient que les salariés ne siégeaient au conseil d’administration que pour servir les intérêts de la banque selon les directives et avec l’aval de cette dernière.
C’est dans ces conditions que la banque a été désignée comme administrateur de fait de la société financée par l’entremise de ses deux salariés, eux-mêmes dirigeants de droit.
La Cour de Cassation a condamné la banque en cette qualité de dirigeant de fait.
Cette direction de fait s’est manifestée selon la Cour par « des actes positifs » accomplis « en toute indépendance » et ayant pour seule originalité de l’avoir été par l’intermédiaire de deux administrateurs choisis par la banque et agissant « sous son emprise ».
(Cassation Commerciale, 27 juin 2006 ; Jurisdata n° 2006-034269 publié au rapport annuel de la Cour de Cassation).
Une fois encore sont rappelés par la Cour de Cassation les critères cumulatifs requis pour démontrer la qualité de dirigeant de fait :
(i) Des actes positifs et non isolés de gestion
(ii) Accomplis en toute indépendance
- Plus récemment, la Cour de Cassation a consacré la notion de direction de fait à l’encontre d’une commune qui a été sanctionnée pour faute de gestion en tant que dirigeant de fait d’une association.
Plusieurs éléments ont été retenus à ce titre :
– La commune était le principal bailleur de fond de l’association,
– Elle disposait au sein du comité directeur de trois sièges,
– Elle finançait d’autres structures proches de l’association lui permettant d’assurer sa survie artificielle.
La commune était donc en mesure de dicter ses choix par le poids de son soutien financier nécessaire à la vie du club.
Par ailleurs elle avait, par des financements détournés, entretenu l’illusion d’une santé financière inexistante et n’avait pas usé de son influence pour contraindre le Président de l’association à déposer son bilan dès la connaissance de l’état de cessation des paiements.
(Cour de Cassation Commerciale, 15 juin 2011 ; Jurisdata n° 2011-011812)
On relèvera à propos de ce dernier arrêt l’ambiguïté de la position jurisprudentielle qui consiste à reprocher à la commune de ne pas avoir contraint le Président de l’association à déposer son bilan, ce qui revient à reprocher à la commune de ne pas s’être immiscée dans la gestion de l’association…
Conclusions
L’analyse synthétique de ces quelques décisions de jurisprudence permet de rendre compte de la difficulté qui s’attache à caractériser la gestion de fait.
On ne saurait que recommander à la partie poursuivante le plus haut degré d’exigence dans le travail de rassemblement des preuves avant que de rechercher la responsabilité d’un dirigeant non statutaire, en gardant à l’esprit l’antienne de la Cour de Cassation.
Notons pour finir que l’exercice des fonctions de direction ou de gestion par « complaisance » est considéré à l’encontre du dirigeant de droit comme une circonstance aggravante de sa responsabilité.
(Cour d’Appel de Paris 21 janvier 2010 ; Jurisdata n° 2010-000362)
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © KonstantinosKokkinis - Fotolia.com
Auteur
THILL Franck
Avocat Associé
THILL-MINICI-LEVIONNAIS & Associés
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