Le droit du travail investit la prison: un véritable changement de paradigme

Publié le : 09/02/2013 09 février févr. 02 2013

Un travail de Sisyphe rémunéré 2 euros de l'heure, c'est le prix à payer pour favoriser son insertion professionnelle et décrocher un acte d'engagement en prison. Le droit du travail semble investir l'atrium des maisons d'arrêt grâce à l'affaire Moureau.

L'affaire Moureau: une décision qui fera jurisprudence?D'après la lettre de l'article 717-3 du Code de procédure pénale : "les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail". Le principe d'égalité était rompu selon certains commentateurs puisque le droit du travail s'arrêtait là où commençaient les murs du monde carcéral. Une situation qui vient de subir une véritable révolution avec la décision du Conseil de prud'hommes de Paris du 8 février dernier.

Précisions sur l'exercice d'une activité professionnelle dans le milieu carcéral: Si absence de contrat de travail il y a, un acte d'engagement est signé entre le directeur de la prison et le détenu lorsque ce dernier décide d'exercer une activité économique au sein du milieu carcéral. En termes de rémunération, la loi est venue préciser que celle-ci ne peut être inférieure à un certain taux dont le montant résulte d'un décret (loi pénitentiaire n°2009-1436 du 24 novembre 2009).

Or, un hiatus persiste entre la rémunération minimum qui devrait être appliquée et la rémunération réellement versée aux détenus. En pratique, la rémunération horaire avoisine les 2 euros de l'heure. Un montant qui avait été mis en lumière pour l'entreprise MKT Societal dès 2010 au coeur du rapport du Controleur général des lieux de liberté.

En sus de cette différence du point de vue du vocable utilisé acte d'engagement/ contrat de travail, le travail en milieu carcéral ne s'accompagne nullement des droits et avantages qui existent pour les salariés travaillant au dehors tels que les congés payés ou encore l'assurance chômage.



"Un employeur dans des conditions particulières": Dans les faits d'espèce, une détenue était condamnée à une peine de huit années de prison qu'elle purgeait à la Maison d'arrêt de Versailles. Durant ladite peine, la détenue été employée par l'entreprise MKT Societal en tant que téléopératrice. Parce que cette dernière avait été prolixe au téléphone et qu'elle avait passé des appels relevant de la sphère privée au cours de son travail elle fût l'objet d'un déclassement. Son avocat est parvenu grâce à la décision du Conseil des prud'hommes de Paris à faire reconnaître ce déclassement en licenciement abusif. De surcroît, la détenue a obtenu des indemnités notamment le paiement du préavis de licenciement ainsi que des dommages et intérêts en sus de rappels de salaire et congés payés.

La défenderesse a de fortes probabilités d'interjeter appel, reste à savoir si la Cour d'Appel confirmera la présente décision.



Un litige relevant du droit public?...Selon Etienne Noël, secrétaire national de l'Observatoire International des Prisons (OIP), cette décision le laisse pantois quant à la connaissance du Conseil des Prud'hommes des relations de travail dans l'enceinte des prisons françaises. A ses yeux, l'acte d'engagement étant contracté entre l'administration pénitentiaire et le détenu, le litige trouvait sa place devant le juge administratif. Ce dernier ne nie pas pour autant l'abus de la main d'oeuvre peu chère que peut représenter les détenus par des entreprises tierces. Etienne Noël affirme sans ambages qu'il n'existe pas de raison particulière expliquant l'inexistence d'indemnités journalières en cas d'accident de travail au sein de l'administration pénitentiaire.

Faire fi du droit du travail en prison, c'est annihiler en partie la réinsertion des détenus ce qui est préjudiciable pour le bien-être social. Aujourd'hui ce ne sont pas moins de 17 000 détenus qui exercent une activité professionnelle en milieu carcéral.

RAMA Chloé, Eurojuris France



SOURCES:

Le Figaro, "Le droit du travail s'applique aussi en prison", 8 février 2013

Village de la Justice, "Quand le droit social s'invite en prison...", Thierry Vallat

Le Point, "Le droit du travail entre en prison", 8 février

France Inter, "Le droit du travail en prison", 8 février 2013





Cet article n'engage que son auteur.

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