La préservation du régime concordataire en Alsace Moselle par les Sages de la rue Montpensier

Publié le : 27/03/2013 27 mars mars 03 2013

Le Conseil Constitutionnel a rendu, le 21 février 2013, une décision très attendue par les associations de défense de la laïcité mais également par les Alsaciens Mosellans.

Une décision élargissant la portée de la laïcité constitutionnelleTransmise par le Conseil d'État le 19 décembre 2012 (décisions n° 360724 et n° 360725), la question prioritaire de constitutionnalité, soulevée par l'Association Pour la Promotion et l'Expansion de la Laïcité, portait sur le traitement des ministres du culte dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

Les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 ne sont pas applicables en Alsace Moselle où la rémunération des ministres du culte est prise en charge par les collectivités publiques. Le Conseil Constitutionnel s'est prononcé pour la première fois sur cette particularité du droit alsacien - mosellan. 1- Rappel du contexte historique et juridique Le régime concordataire en Alsace Moselle est un élément du droit local alsacien et mosellan. Il reconnaît et organise le culte catholique, luthérien, réformé et israélite. Ce régime est issu du Concordat de 1801 signé par Napoléon Bonaparte aux fins d'instaurer la paix religieuse. Ce statut des cultes instaurés par la loi du 18 Germinal an X (Concordat et articles organiques) institutionnalise le pluralisme religieux et place des cultes sous contrôle de l'État, qui rémunère le ministre de la religion et découpe les circonscriptions religieuses sur le modèle de la carte des départements et des communes. La législation des cultes issue de la loi du 18 Germinal an X et des textes organisant le culte juif s’est appliquée jusqu'en 1905 à l'ensemble du territoire français à l'exception des colonies. Ce régime des cultes n'a pas été abrogé dans les trois départements d'Alsace Moselle par la loi de 1905. En effet à la suite de la défaite française de 1870, les départements du Rhin et de la Moselle sont cédés au Deuxième Reich Allemand. Les autorités allemandes n'ont pas souhaité supprimer la législation française appliquée aux cultes, aux congrégations et à l'éducation. La législation religieuse, pendant cette période d'annexion, a ajouté des textes législatifs et réglementaires permettant une pratique administrative favorable aux cultes reconnus. Le statu quo en matière religieuse s'impose d'emblée pour des raisons politiques lors du retour de l'Alsace Moselle à la France en 1918. Le gouvernement français n'a pas voulu s'aliéner la population alsacienne mosellane en supprimant un régime qui pouvait, par ailleurs, servir de levier à sa politique de francisation. Le Conseil d'État déclare d’ailleurs, dans un avis du 24 janvier 1925, que le régime concordataire tel qu'il résulte de la loi de germinal An X est toujours en vigueur en Alsace Moselle. Durant la période nazie, les cultes catholique, réformé et luthérien, sévèrement encadrés, sont les seuls à être autorisés. Lors de la Libération, la vigilance est de mise et l’article 3 de l'Ordonnance du 15 septembre 1944, portant rétablissement de la légalité républicaine, maintient la législation locale. 2- Régime local des cultes et Constitution Le régime local des cultes, régime dérogatoire, fait l'objet de nombreuses attaques depuis 1945. En effet, aux termes de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, « la France est une République ... laïque. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction... de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Cette formulation qui succède aux dispositions de l'article 1er de la Constitution du 27 octobre 1946, qualifiant déjà la France de république laïque, figure parmi les plus importantes du droit constitutionnel français. La confrontation entre droit local et Constitution avait donné lieu jusque-là à plusieurs décisions du conseil d'État. Le Conseil d'État avait rejeté les recours invoquant la non-conformité du droit local des cultes avec la Constitution. Les Commissaires du Gouvernement avaient pris clairement position dans les affaires concernées en faveur de la conformité de ce régime avec la Constitution (CE, 6 avril 2001 ; CE, 17 mai 2002 ; CE 14 novembre 2007). De même, le Conseil Constitutionnel, dans la seule décision portant directement sur le principe de laïcité, le 19 novembre 2004, avait interprété celui-ci d'une manière compatible avec le droit local. Le 19 décembre 2012, le Conseil d'État, doté du pouvoir de filtrer, estime que la question prioritaire de constitutionnalité posée par l'Association pour la Promotion et l'Expansion de la Laïcité, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes, est suffisamment sérieuse pour être transmis au Conseil Constitutionnel. Le Conseil Constitutionnel doit donc répondre à la question : la rémunération par l'État des pasteurs en Alsace Moselle est-elle conforme à la Constitution ? 3- La décision du Conseil Constitutionnel du 21 février 2013 Le Conseil Constitutionnel, dans une décision très brève, décide : « l'article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes est conforme à la Constitution. » Pour aboutir à cette décision le conseil constitutionnel se livre à une reconstitution historique pour analyser la volonté réelle des constituants par rapport au droit local. Le Conseil Constitutionnel relève tout d'abord que les dispositions de la loi du 9 décembre 1905, et notamment celles de son article 2, qui disposent : « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », n'ont pas été rendues applicables aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ; Le Conseil Constitutionnel retient ensuite, dans son considérant n°6, « il ressort tant des travaux préparatoires du projet de la Constitution du 27 octobre 1946 relatif à son article 1er que de ceux du projet de la Constitution du 4 octobre 1958 qui a repris la même disposition, qu'en proclamant que la France est une « République... laïque », la Constitution n'a pas pour autant entendu remettre en cause les dispositions législatives ou réglementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République lors de l'entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l'organisation de certains cultes et, notamment, à la rémunération des ministres du culte. » Le Conseil Constitutionnel estime donc que le fait pour les Constituants de 1946, puis de 1958, de ne pas avoir supprimé l'exception, alors qu'ils exprimaient expressément le principe de laïcité, doit être analysé comme une volonté implicite de maintenir l'exception. Le Conseil Constitutionnel en tire comme conclusion que les dispositions contestées ne sont pas contraires au droit ou liberté que la Constitution garantit. Si les défenseurs du droit local ont applaudi cette décision, estimant que « l'exception cultuelle » alsacienne mosellane était sauvée, les tenants de la laïcité ont estimé que le Conseil Constitutionnel avait rendu une décision lourde de conséquences pour le principe de laïcité. Il convient cependant d’observer que le Conseil Constitutionnel élargit de façon importante la portée de la laïcité constitutionnelle. En effet la décision du 21 février 2013 érige que le principe de laïcité figure « au nombre des droits et libertés » constitutionnels. Jusque-là, le Conseil Constitutionnel s'était contenté d'analyser la portée plutôt que le contenu de la laïcité et avait mis l'accent sur deux conséquences fondamentales de ce principe, à savoir le refus du droit des groupes et refus d'un droit des individus à l'exemption ou à la dérogation pour motifs religieux. La décision du 21 février 2013 marque donc une avancée puisque le Conseil Constitutionnel énumère les composantes du principe de laïcité qui s'imposent désormais de manière certaine aux pouvoirs publics, y compris au législateur. Ces composantes sont au moins au nombre de six : neutralité de l'État, non reconnaissance de quelque culte que ce soit, respect de toutes les croyances, égalité devant la loi sans distinction de croyances, garantie par la République du libre exercice des cultes, interdiction de salarier les cultes, le Conseil Constitutionnel maintenant volontairement la liste ouverte par l'utilisation de l'adverbe notamment. De plus, la décision du 21 février 2013 constitutionnalise certains principes de l'article 2 de la loi de 1905 alors que le Conseil d'État s'obstinait à considérer que seul l'article 1er de la loi de 1905 avait valeur constitutionnelle, ce qui entraînait simplement l'obligation de neutralité religieuse des pouvoirs publics. On pourra regretter par contre que le Conseil Constitutionnel ait rendu une décision d'opportunité, en préférant une interprétation historique plutôt qu'une interprétation littérale qui aurait opposé les deux modèles, principe et exception, pour en mesurer la valeur constitutionnelle. Mais ne s'agit-il pas de la meilleure solution possible ? En effet depuis des décennies, un équilibre a été trouvé en Alsace Moselle, entre laïcité, liberté religieuse et paiement par l'État des ministres du culte. De plus il aurait été imprudent de remettre en cause le droit local, alors que ce système, mélange de droit français et allemand, qui survit depuis plus de 100 ans, a montré son efficacité dans de nombreux domaines. Les Sages ont donc rendu une décision qui garantit la sécurité juridique, et n’est-ce pas finalement, ce que l’on attend d’eux ? Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

CLANCHET Sophie

Historique

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