Informatique et respect de la vie privée

Informatique et respect de la vie privée

Publié le : 01/12/2014 01 décembre déc. 12 2014

Dans un arrêt du 10 septembre, la Cour de cassation estime que le choix d’un nom patronymique comme mot clé destiné à faciliter le référencement par les moteurs de recherche sur internet des pages qui le supportent, ne peut être considéré comme fautif.La lutte contre la cybercriminalité en rapport avec l’utilisation d’internet a amené depuis plusieurs années les services de la Gendarmerie Nationale à créer les structures propres à assurer la surveillance du réseau dans le but d’y rechercher les infractions non seulement relatives à la transmission de données à caractère illicite sur le net mais également de données portant atteinte aux personnes et aux biens.

Mais qu’en est-il en l’absence d’infraction constatée ?
Qu’en est-il lorsque l’atteinte à la vie privée est caractérisée par la seule utilisation, non autorisée, de noms, prénoms, données à caractère personnel ?

Qu’en est-il encore lorsque des internautes peu scrupuleux (peut-être animés de mauvaises intentions ou en recherche d’un « cyber » règlement de compte…), utilisent, à leur insu, les données personnelles de leurs semblables aux fins d’introduire ces données comme « méta-balises » dans le code source d’un site et permettre ainsi d’orienter, par ces mots clés, les recherches à leur égard ?

Trois internautes se sont ainsi trouvés confrontés à cette difficulté constatant qu’un quatrième avait mis en ligne sur son blog, des informations personnelles et critiques les concernant et introduit leurs noms et prénoms comme « méta-balises ».

Estimant qu’il avait été porté atteinte au respect de leur vie privée, ils ont saisi la justice sur le fondement des dispositions combinées des articles 9 du Code Civil et 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Devant la Cour d’Appel de PARIS, ils résonnèrent par analogie avec le droit des marques estimant que « si la jurisprudence avait pu sanctionner l’utilisation de mauvaise foi de marques protégées afin de capter la clientèle de la marque au bénéfice d’un concurrent, l’association systématique d’un nom patronymique à certaines pages web , du seul fait de la manipulation d’un tiers afin d’associer systématiquement ces pages à ces personnes (…), portait atteinte aux droits de la personnalité ».

La Cour d’Appel ne les a pas suivis sur cet argument estimant qu’en l’espèce, il ne s’agissait pas du droit des marques mais d’un blog, blog qui n’était pas concerné par cette branche du droit alors en outre que les décisions dont ils se prévalaient, concernait l’utilisation par des tiers de noms de marques à des fins de concurrence déloyale ou de parasitisme commercial.

Les Juges avaient en outre relevé que le principe constitutionnel et conventionnel de la liberté d’expression, reposant tout entier sur la liberté (sauf à répondre des abus prévus par la Loi) n’empêchait nullement que le prénom et le patronyme puissent être cités par des tiers qu’avec l’autorisation des personnes concernées.
De plus et s’agissant de l’usage de leurs noms et prénoms comme méta-balises, il avait été jugé qu’à défaut de démonstration de ce que les textes auxquels ces mots clés étaient associés seraient eux-mêmes attentatoires à leur vie privée, ils ne pouvaient qu’être déboutés de leur demande sur le fondement des articles précités.

Cependant, estimant que la Cour d’Appel avait dénaturé leurs écritures en n’admettant pas leur raisonnement par analogie, les appelants se sont pourvus en cassation, sur le fondement des dispositions des articles 4 et 5 du Code de Procédure Civile.


L'auteur de l'article:Anne DE REVIERS, avocate à Poitiers.



Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © Andrzej Puchta - Fotolia.comLa décision de la Cour de Cassation était donc très attendue sur ces différents points.Pour rejeter leur pourvoi, la Cour de Cassation dans un arrêt en date du 10 septembre 2014 (1ère Chbre Civ. N°de pourvoi : 13-12464) a estimé que dès lors que l’utilisation de données personnelles ne figurait dans aucun contenu répréhensible de la page à laquelle le mot clé l’associait, il n’y avait pas lieu d’invoquer les dispositions des articles 9 du Code Civil et 8 de la convention Européenne des Droits de l’Homme.Autrement dit et pour la Cour de Cassation, le choix d’un nom patronymique comme mot clé destiné à faciliter le référencement par les moteurs de recherche sur internet des pages qui le supportent, ne peut être considéré comme fautif.Dès lors, il est possible de s’interroger sur le point de savoir si cette jurisprudence de la Cour de Cassation ne met pas à mal une jurisprudence abondante portant haut le principe du respect de la vie privée et qui, depuis des années, s’agissant du respect du droit à l’image, de la conciliation nécessaire entre liberté d’information et respect de la vie privée, semblait ériger un rempart infranchissable contre l’irrespect, la communication à outrance et la divulgation à tout va.Pourtant, même s’il a fallu attendre les années 1970 pour voir consacrer dans le droit français la notion de respect de la vie privée au travers des dispositions de l’article 9 du Code Civil, sa valeur constitutionnelle est reconnue depuis des années par le Conseil Constitutionnel.Pourtant également, chacun note que les agressions émanant autrefois exclusivement du secteur publique, les atteintes à la vie privée développée par l’usage grandissant et désormais incontournable de l’informatique et qui ont justifié l’adoption de la « Loi Informatique et Liberté », se déplacent aujourd’hui vers la sphère privé.Dès lors, alors que certains tribunaux et certaines Cour n’avaient pas hésité à utiliser, pour sanctionner des atteintes à la vie privée, la « Loi Informatique et Liberté », cet arrêt de la cour de Cassation, semble porter un frein à une évolution jurisprudentielle qui s’orientait vers un respect accru de la vie privée.Il convient en effet de s’interroger sur cette décision de la Haute Cour à la lumière de l’arrêt récent rendu par la Cour de justice de l'Union européenne et au terme duquel il a été rappelé que : "l'exploitant d'un moteur de recherche est obligé de supprimer de la liste de résultats, affichée à la suite d'une recherche effectuée à partir du nom d'une personne, des liens vers des pages web, publiées par des tiers et contenant des informations relatives à cette personne, également dans l'hypothèse où ce nom ou ces informations ne sont pas effacés préalablement ou simultanément de ces pages web, et ce, le cas échéant, même lorsque leur publication en elle-même sur lesdites pages est licite" (CJUE, 13 mai 2014, aff. C-131/12, Google Spain SL, Google Inc. c/ Agencia Española de Protección de Datos (AEPD) et Mario Costeja González, point 88 : JurisData n° 2014-009597 ).Ces décisions semblent contradictoires…Ce qui est certain c’est que dans cet arrêt en date du 10 septembre 2014, la Cour de Cassation n’a pas tenu compte de l’effet démultiplicateur de l’utilisation faite par cet internaute de ces moteurs de recherche.Dès lors, il semble peu importer que le contenu des pages auxquelles sont associés les mots-clés, et en l’espèce les noms et prénoms de ces personnes, soient ou non licites comme le rappelle la Cour de Cassation.Autrement dit le contenu intrinsèque des pages auxquelles conduisent ces mots clés, peut difficilement être mis en avant alors que le respect de la vie privée est érigée aujourd’hui en un principe constitutionnel.Sans doute les atteintes au respect de la vie privée sont-elles devenues trop complexes pour permettre encore aujourd’hui, une réponse uniforme des magistrats…

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