Responsabilité des assureurs

Vers un élargissement de la responsabilité délictuelle des assureurs vis-à-vis des maîtres de l'ouvrage ?

Publié le : 03/08/2022 03 août août 08 2022


Face à la multiplication des refus de garantie opposés par les assureurs suite aux arrêts de 1997 (Cass., 1ère civ., 29 avril 1997, n° 95-10.187 ; Cass., 1ère civ., 28 octobre 1997, n° 95-19.416), dans lesquels la troisième chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que « si le contrat d'assurance de responsabilité obligatoire (décennale) que doit souscrire tout constructeur, ne peut comporter les clauses d'exclusion autres que celles prévues à l'article A. 243-1 du code des assurances, la garantie de l'assureur ne concerne néanmoins que le secteur d'activité professionnelle déclaré par ledit constructeur », la Haute juridiction s’est efforcée de limiter le champ d’action des assureurs, tout particulièrement à l’égard des tiers victimes. 

La Cour de cassation s’est alors fondée sur les éventuelles imprécisions et ambiguïtés du libellé de l'activité couverte dans les attestations d’assurance, qui peuvent être soulevées par les tiers victimes, avec pour conséquence de voir engagée la responsabilité civile de l’assureur. 

A partir de 2003 (Cass., 3ème civ., 17 décembre 2003, n° 01- 12.259, FS-P+B+I+R, Pigassou c/ SA Cie Gan : JurisData n° 2003-021520), la jurisprudence de la Cour de cassation a montré une inflexion certaine sur le sujet.

La responsabilité́ de l'assureur étant la réponse reflexe traditionnelle des praticiens face à un refus de garantie opposé par les assureurs, la Cour de cassation a saisi l’occasion, et a posé comme frein la possibilité de sanctionner des assureurs en responsabilité décennale, pour manquement à leur obligation de renseignement dans le cadre de la rédaction des attestations d’assurance.

La nature de cette responsabilité́ variant, bien évidemment, selon que celui qui l'invoque a la qualité́ d'assuré ou de tiers bénéficiaire de l'action directe. 

L’action en responsabilité sera donc de nature contractuelle dans le premier cas, et de nature délictuelle dans le second cas. 

Bien que l’arrêt du 31 mars 2022 (Cass., 2ème civ., 31 mars 2022, n° 20-17.662) ne soit pas rendu dans le domaine de l’assurance construction, la position adoptée par la 2ème chambre civile de la Cour de cassation pourrait parfaitement être adoptée par la 3ème chambre civile.

En l'espèce, un particulier a confié le déménagement de ses meubles à une entreprise qui avait souscrit un contrat d'assurance « responsabilité du transporteur - marchandises transportées - responsabilité civile de l'entreprise ». 

Sur demande du propriétaire des meubles, la société de déménagement avait conclu une garantie dépositaire pour les dommages que pourraient subir le mobilier et les œuvres d'art pendant le temps de leur dépôt en garde-meubles, par l'intermédiaire d'un courtier en assurances. 

A la suite de cette souscription, une partie des biens avait été dérobée dans le garde-meubles, alors que les biens non dérobés et entreposés dans un autre garde-meubles avaient, quant à eux, été inondés. 

Le propriétaire avait donc assigné en indemnisation de ses préjudices l'assureur et le courtier. 
La cour d’appel l’ayant débouté, il porta le contentieux devant la Cour de cassation.

Dans son pourvoi, le propriétaire faisait valoir que « l'assureur est contractuellement tenu d'informer et de conseiller l'assuré sur l'adéquation de la garantie souscrite à la situation personnelle de l'assuré ». Il soutenait que l'assureur avait omis de conseiller à la société de déménagement la souscription d'une garantie suffisamment étendue, notamment au regard des clauses d'exclusion de la police et du plafond de la garantie souscrite. Il entendait ainsi engager la responsabilité délictuelle de l’assureur à l’égard du tiers au contrat. 
La Cour de cassation, sensible à son argument, estima que « la cour d’appel aurait du rechercher si l'assureur n'avait pas commis un manquement contractuel à son obligation d'information et de conseil en conseillant la garantie souscrite», elle ajouta que « La clause excluant de la garantie responsabilité civile d'entrepositaire de marchandises les dommages qui résultent de vols ou d'inondations, s'analyse en une clause d'exclusion en ce qu'elle prive l'assuré du bénéfice de cette garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque ». 
Si cette jurisprudence venait à être confirmée, cela aurait pour conséquence d’étendre considérablement l’engagement de la responsabilité délictuelle des assureurs, bien au-delà de l’engagement de leur responsabilité en raison d’une mauvaise rédaction des attestations d’assurance.

Aussi, l’action du tiers sera d’autant plus facilitée par le fait que la charge de la preuve de l’exécution du devoir de conseil incombe à l’assureur.

De ce fait, le tiers aura seulement à soutenir que la garantie souscrite n’était pas adaptée à l’activité de l’assuré, pour que l’assureur soit contraint de démontrer que, soit il avait proposé d’autres garanties à l’assuré, soit que même s’il les auraient proposé, l’assuré n’y aurait pas souscrit. 


Cet article n'engage que ses auteurs.
 

Auteurs

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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Karen VIEIRA

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