Déplacement illicite d'enfant et application de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980 - Crédit photo : © Designer_Andrea - Fotolia.com
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Déplacement illicite d'enfant et application de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980

Publié le : 07/05/2013 07 mai mai 05 2013

L’enlèvement international d’enfant place nos juges internes devant de grands problèmes juridiques et pratiques.

Enlèvement international d’enfantCASS, CIV 1ERE, 13 FEVRIER 2013, N°11-28.424

En tant que Conseils il est de notre devoir d’apprécier in concreto la situation soumise et la confronter aux différentes règles applicables, tant en droit interne qu’en droit européen, tout en nous inspirant des jurisprudences rendues en la matière.

L’arrêt sur lequel nous devons nous arrêter plus particulièrement est le dernier en date rendu au sujet de l’enlèvement international d’enfant. (Cf. Cass. Civ. 1ère ch. du 13/2/13 et les divergences d’appréciations déjà ressenties à la lecture des délibérés contradictoires rendus par le TGI saisi et les Cours d’appel et de cassation).

Avant même de nous y plonger, autant dire que si pour nous il devient difficile de conseiller nos clients à la lumière tant des dispositions internes qu’européennes , il est d’autant plus difficile pour un tribunal international comme celui de la Cour européenne des droits de l’homme, éloigné des réalités des affaires concrètes, de trancher parmi les intérêts concurrents en jeu.

Les faits de l’arrêt ci dessus sont les suivants :

Le 1er avril 2011, une mère quitte le territoire des Etats-Unis avec son fils de 3 ans pour rejoindre son pays, la France, sans pour autant prévenir le père. Précision importante : l'enfant était né en 2008 aux États-Unis d'un père américain et d'une mère française. Saisie de l'affaire, la cour d'appel de Grenoble décide, dans un arrêt du 24 août 2011, que l'enfant a été déplacé illicitement par sa mère mais qu'il n'y a pas lieu à ordonner le retour de l'enfant aux États-Unis.

Dans un arrêt du 13 février 2013, la première chambre civile casse et annule cette décision sauf en ce qu'elle a dit que la mère avait déplacé illicitement l'enfant. Ils considèrent en effet, comme les juges d'appel, que le départ de l'enfant sans l'accord du père constituait un déplacement illicite.

En revanche, les deux Cours n’ont pas la même vision des effets du déplacement illicite de cet enfant et donc du « nécessaire retour » ou pas de l'enfant aux Etats-Unis.

Selon la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, il ne peut être fait exception au retour immédiat de l'enfant que dans certaines conditions. En effet, il est nécessaire en ce cas qu’il existe un risque de danger grave ou de création d'une situation intolérable.

Selon l'article 3, 1, de la Convention de New York relative aux droits de l'enfant, ces circonstances doivent être appréciées en considération primordiale de l'intérêt supérieur de l'enfant.

En l’espèce : pour considérer qu’il n’y avait lieu à ordonner le retour de l'enfant aux États Unis, l'arrêt relève … simplement dirait-on … qu'il serait dommageable pour l'enfant, compte tenu de son très jeune âge, de remettre en cause son nouvel équilibre.
Son retour aurait donc impliqué des difficultés d'organisation dans ses relations avec sa mère, enceinte et dans l'impossibilité alors de se déplacer, ce qui rajouterait pour l'enfant un traumatisme de séparation et un sentiment d'abandon.

En se déterminant par des motifs impropres à caractériser, au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, le danger grave encouru par celui-ci en cas de retour immédiat, ou la situation intolérable qu'un tel retour créerait à son égard, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Alors, que penser de cette décision ?

Le dispositif de lutte contre les déplacements illicites d'enfant, fondé sur la Convention de la Haye du 25 octobre 1980 se trouve donc « en concurrence directe » avec le principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant. C’est la raison pour laquelle les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l'Homme et de la Cour de Cassation se contredisent parfois. En effet, tout dépendra du principe que l’on souhaite faire prédominer :

Pour preuve, une décision de la Cour européenne du 7 mars 2013 a condamné la France pour ne pas avoir organisé le retour de deux enfants auprès de leur mère…

A la lecture de ces jurisprudences et selon celle de la Cour de Cassation , la toute dernière datant du mois de février de cette année, l’on peut considérer que l’effet du déplacement illicite d’enfant impose l’application par le pays dit « refuge » du retour immédiat de l’enfant.

Toutefois, l’on se doit de citer une jurisprudence de la Cour européenne qui vient édulcorer mes propos ci dessus : c’est celle du 6 juillet 2010 NEULINGER et SHURUK c/ SUISSE .

« La décision qu’un enfant de sept ans, qui avait été illégalement amené en Suisse par sa mère en 2005, doive retourner en Israël n’est pas compatible avec l’intérêt supérieur de l’enfant. Relevant qu’au moment de l’arrêt du Tribunal fédéral, la Suisse n’avait pas dépassé sa marge d’appréciation, la Cour prit en compte les développements intervenus entre temps – aussi provoqués par elle-même, puisqu’elle ordonna des mesures provisoires permettant à l’enfant de rester en Suisse durant la procédure.
L’enfant ayant passé cinq ans en Suisse, le père ne disposant que d’un droit de visite restreint et une peine de prison à l’encontre de la mère ne pouvant être entièrement exclue, le retour de l’enfant constituerait une atteinte disproportionnée au droit de l’enfant et de la mère au respect de la vie privée et familiale.
Violation de l’article 8 CEDH (16 voix contre 1).
»

Dans cette affaire, la Cour européenne a fixé certains principes s’appliquant aux situations dans lesquelles le retour de l’enfant enlevé ne peut être réalisé à bref délai. En pareil cas, les instances internes doivent faire preuve d’une certaine souplesse sans pour autant mettre en danger la sécurité des rapports juridiques.

Ainsi, à la lecture de cet arrêt NEULINGER et SHURUK c. SUISSE il apparaît que lorsque l’auteur même de l’enlèvement se plaint d’une atteinte AU DROIT AU RESPECT DE SA VIE FAMILIALE et DE CELLE DE SON ENFANT qu’entraînerait le retour de celui-ci, la Cour peut juger alors que ce retour est contraire à l’article 8 de la C.E.D.H.

La question qui demeure est : la Cour et les instances nationales arriveront-elles à trouver l’harmonie nécessaire entre les différents instruments internationaux pertinents et une interprétation permettant de protéger au mieux l’intérêt supérieur de l’enfant ?

Le moins que l’on puisse dire est que nous avons du mal à dégager une cohérence parmi toutes les jurisprudences qui se confrontent, tant les principes directeurs semblent inconciliables … car opposés :
 
  • l’interdiction des déplacements illicites d'enfant,
  • le principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant
  • et, le droit au respect de la famille et de celle de l’enfant.
L’arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2013 est en accord avec tous ces principes : en effet, elle démontre qu’une présomption existe en cas de déplacement illicite d’enfant, à savoir que l’intérêt de l’enfant est de ne pas être enlevé (à défaut il y aurait violation de l’article 13 b de la convention de La Haye du 25 octobre 1980), qu’au cas contraire le droit de « retour » s’applique, sauf appréciation IN CONCRETO de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Il serait incomplet de ne pas préciser enfin que l’article 13 b de la convention de LA HAYE affirme que :
« l’autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion ».

Ainsi un 4ème principe directeur doit être ajouté aux trois visés supra :
 
  • le droit de veto de l’enfant dans le cadre de la procédure de retour à mettre en œuvre par le pays membre.
Cependant, et alors que la Cour de Cassation avait suivi l’art. 13 b sus cité, la France a malheureusement été condamnée par la Cour dans un arrêt du 7 mars 2013 pour « manquement à ses obligations positives ». Dans son arrêt la Cour de cassation avait simplement effectivement « suivi » la volonté d’enfant de 15 ans ayant clairement manifesté leur refus de retourner chez leur mère en Grande Bretagne…

Gageons qu’il ne s’agissait là pour la Cour Européenne que de nous rappeler à nous autres français que plusieurs principes directeurs existaient pour trancher ce type de litige … et qu’elle considérait que nos autorités auraient du agir différemment …

Toutes ces positions difficilement conciliables nous font conclure que plus que jamais la prudence est exigée en la matière et qu’il serait souhaitable qu’une harmonisation intervienne au plus vite.





Cet article a été rédigé par Me Vanessa ABOUT.
Il n'engage que son auteur.


 

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