Action entre constructeurs

Construction : Prescription : point de départ de l’action entre constructeurs

Publié le : 27/02/2023 27 février févr. 02 2023

La condamnation in solidum d’un constructeur, qui permet au maître de l’ouvrage de lui réclamer la réparation de l’intégralité de son préjudice alors même qu’il n’est pas fautif, lui permet ensuite d’agir contre les autres intervenants du chantier condamnés, en exerçant une action récursoire.
Ce recours est fondé sur le droit commun : soit une responsabilité délictuelle, en l’absence de lien contractuel entre les intervenants, soit une responsabilité contractuelle, si un contrat a été conclu (tel est le cas lorsqu’un entrepreneur principal agit contre son sous-traitant).

Concernant le délai de prescription du recours, une incertitude, née depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, a longtemps perduré.

En effet, et jusqu’à tout récemment, la doctrine et les cours d’appel étaient divisées sur le point de savoir s’il fallait appliquer un délai de 10 ans à compter de la réception des travaux, en application de l’article 1792-4-3 du Code civil, ou, conformément à l’article 2224 du Code civil, un délai de 5 ans à compter de la connaissance qu’avait le titulaire de l’action de sa possibilité d’agir.

Par un arrêt du 16 janvier 2020 (Cass. 3ème civ., 16 janv. 2020, n°18-25.915), la troisième chambre civile avait tranché cette question, en affirmant que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur, ou son sous-traitant, relevait des dispositions de l’article 2224 du Code civil, et se prescrivait par 5 ans à compter du jour où le premier avait connu, ou aurait dû connaître, les faits lui permettant de l’exercer. Plus encore, elle avait considéré que l’assignation en référé-expertise délivrée par un maître de l’ouvrage à un constructeur mettait en cause la responsabilité de ce dernier, et constituait donc le point de départ du délai de son action récursoire.

C’est précisément ce second volet de la décision, relatif au point de départ du délai de prescription, qui a été abandonné par la Haute juridiction dans son arrêt du 14 décembre 2022 (Cass. 3ème civ., 14 déc. 2022, n°21-21.305, n°885 FS – B + R).

En effet, à l’occasion d’un recours entre un entrepreneur principal et son sous-traitant, la Cour de cassation a été amenée à analyser les conséquences pratiques de sa décision de 2020. Elle a ainsi observé une multiplication des procédures au fond introduites à titre préventif par les constructeurs, qui étaient contraints d’agir en garantie contre d’autres intervenants avant même d’avoir été assignés en paiement par le maître de l’ouvrage, ou l’acquéreur, ceci dans le seul but d’interrompre la prescription.

Ainsi, et alors que la décision de 2020 était justifiée par la volonté de resserrer le temps du procès et de favoriser le caractère contradictoire des opérations d’expertise, l’augmentation de ces recours préventifs, qui nuisait à une bonne administration de la justice, a conduit la Cour à modifier sa jurisprudence.

Il est également indiqué, sur le site de la Cour de cassation, que « par plusieurs décisions récentes, la Cour de cassation a jugé qu’il n’était pas possible d’agir en garantie avant d’avoir été soi-même assigné » (voir notamment Cass. 2ème civ., 17 févr. 2022, n°21-70.024 ; Cass. 3ème civ., 10 mars 2022, n°20-16.237 ; Cass. com., 13 oct. 2015, n°14-10.664 ; Cass. 3ème civ., 25 mai 2022, n°21-18.518).

Désormais, la prescription de l’action récursoire d’un constructeur ne peut courir qu’à compter de la date à laquelle il a été lui-même assigné en paiement ou en exécution de l’obligation en nature. Cette solution est conforme à la position du Conseil d’Etat, qui avait déjà jugé qu’une demande en référé-expertise introduite par le maître de l’ouvrage n’était pas de nature à faire courir le délai de prescription pour l’action récursoire, le délai de prescription ne pouvant courir avant que la responsabilité de l’intéressé n’ait été recherchée par le maître de l’ouvrage (CE, 10 févr. 2017, n°391722).

En d’autres termes, et comme l’explique Maître Jean-Pierre KARILA, la troisième chambre civile privilégie une solution « qui ne s’attache plus à retenir un point unique de départ de la prescription ou encore […] à une formation quelconque de l’ordre juridictionnel saisi, mais à l’objet de la demande » (La Semaine Juridique Edition Générale n° 04, 30 janvier 2023, act. 123).

Il en résulte que le délai de prescription commencera à courir dès lors que l’assignation contiendra une demande de paiement d’une indemnité provisionnelle ou de réalisation de travaux de reprise.
Etant précisé que cette règle est d’application immédiate ; elle devrait donc logiquement être reprise pour les instances encore en cours.

Et si la doctrine semble unanimement plébisciter le revirement opéré par la Cour de cassation, qui avait été proposé par l’avocat général Maître Philippe BRUN, elle ne manque pas de souligner que cette nouvelle solution impose tout de même au constructeur assigné en référé-expertise d’être attentif aux demandes présentées à son encontre dans l’assignation.


Cet article a été rédigé par Maud FOURNET, élève-avocat au cabinet Cornet, Vincent, Ségurel. Il n'engage que son auteur.

Auteur

CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS
Cabinet(s)
PARIS (75)
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