Rupture du contrat pour faute grave

Agent commercial, faute grave et droit à indemnité : revirement de jurisprudence de la Cour de cassation

Publié le : 31/01/2023 31 janvier janv. 01 2023

Le statut d’agent commercial est encadré et protégé par les dispositions des articles L.134-1 et suivants du code de commerce. En cas de cessation du contrat d’agence commerciale, se pose souvent la difficulté pour le mandant, du paiement à l’agent commercial, de l’indemnité compensatrice de rupture.
Ce n’est que dans certaines situations particulières limitée par les dispositions de l’article L.134-13 du code de commerce, que l’agent commercial perd son droit à indemnité, à savoir notamment lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent commercial.

C’est cette dernière situation qui a fait l’objet d’un revirement de jurisprudence retentissant de la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 novembre 2022 (n°21-17.423).

En l’occurrence, un agent commercial exerçait depuis 2008, une activité de prospection commerciale pour le compte d’un mandant. En 2013, les partenaires ont conclu un nouveau contrat d’agence commerciale, stipulant expressément que l’agent « ne peut accepter la représentation de produits susceptibles de concurrencer ceux faisant l’objet du présent contrat ». En 2016, le mandant a résilié le contrat d’agence commerciale. L’agent sollicitait dès lors le paiement de l’indemnité compensatrice de rupture, ainsi qu’une indemnité de préavis. Or, et postérieurement, à la rupture du contrat, le mandant invoquait la faute grave de l’agent commercial, justifiant selon lui, l’absence de droit à indemnité.

1. Premier enseignement de l’arrêt : l’importance pour le mandant d’inclure dans le contrat l’interdiction pour l’agent commercial de le concurrencer

La chambre commerciale a tout d’abord approuvé la Cour d’appel qui avait qualifié le comportement de l’agent commercial de faute grave

La faute grave est définie comme la faute qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d’intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel (Cass, com, 15 octobre 2022, n°00-18.122). C’est bien évidemment au mandant, à l’origine de la rupture, de prouver l’existence d’une faute grave, s’il veut éviter d’avoir à verser l’indemnité en fin de contrat (Cass, com, 5 octobre 2004, n°03-11.530). 

En l’espèce, l’agent commercial avait déployé son activité au profit d’une société concurrente du mandant, alors que le contrat d’agence commerciale, prévoyait, comme précisé ci-avant, que celui-ci ne pouvait accepter la représentation de produits susceptibles de concurrencer ceux faisant l’objet du contrat.

En défense, l’agent commercial faisait valoir la tolérance du mandant, celui-ci ayant tacitement et antérieurement consenti à de telles relations avec un concurrent. Cependant, la Cour d’appel a estimé, et cela a été confirmé par la Cour de cassation, que cette tolérance avait cessé, par la conclusion du nouveau contrat en 2013, lequel avait expressément exclu la possibilité pour l’agent commercial de représenter des sociétés concurrentes. Ainsi, et désormais, la Cour de cassation reconnait qu’une tolérance existant par le passé, cesse dès lors que le nouveau contrat signé avec l’agent exclu désormais toute représentation d’une société concurrente. Si l’agent continue à représenter des concurrents du mandant, après la signature du nouveau contrat, il commet alors une faute grave.

Il est donc utile de rappeler, l’importance pour le mandant, d’inclure dans la rédaction du contrat d’agence commerciale, l’obligation pour l’agent de ne pas représenter des concurrents du mandants, sauf à avoir obtenu son accord exprès préalable.

2. Deuxième enseignement de l’arrêt (et non des moindres) : la faute grave de l’agent commercial découverte après la cessation des relations ne prive plus l’agent commercial de son droit à indemnité

Désormais, la Cour de cassation élève en principe, qu’une faute grave de l’agent commercial, découverte a postériori par le mandant, ne lui permet pas d’échapper au paiement de l’indemnité de rupture. La Cour de cassation, reconnait, au sein de l’arrêt, qu’elle effectue ici un revirement de jurisprudence.

En effet, et malgré les dispositions de l’article L34-13 du code de commerce qui prévoyaient expressément, que l’agent commercial perdait le droit à indemnité lorsque la cessation du contrat était provoquée par la faute grave de l’agent commercial, la Cour de cassation considérait, malgré tout, que le mandant pouvait se prévaloir de la faute grave de l’agent, même si celle-ci avait été découverte postérieurement à la rupture des relations (Cass, com, 15 mai 2007, n°06-12.282). 

En d’autres termes et jusqu’à cet arrêt du 16 novembre 2022, un mandant pouvait résilier un contrat d’agent commercial, sans motif ou pour un motif autre qu’une faute grave, et échapper ultérieurement au paiement de l’indemnité de rupture, si une faute grave de l’agent commercial était révélée postérieurement et soulevée par le mandant.

Cette position était, à l’évidence, contraire au texte même de l’article L.134-13 du code de commerce, puisque dans cette situation, ce n’était pas la faute grave qui avait provoqué la rupture du contrat.

Finalement, en novembre 2022, la Cour de cassation, après avoir rappelé sa position antérieure, et son incompatibilité avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne, a modifié sa jurisprudence, et retient désormais que l’agent qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, (i) dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et (ii) a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.

Quels sont dès lors les enseignements de cet arrêt en pratique ? 

D’une part, il ne faut pas, selon nous, déduire de cet arrêt que la lettre de résiliation du contrat d’agent commercial devra désormais regrouper l’ensemble des fautes et manquements de l’agent justifiant la rupture, au risque de ne plus pouvoir faire valoir d’autres manquements par la suite, pour le mandant. 

Cependant, et en pratique, la charge de la preuve revenant au mandant, il est préconisé, pour le mandant qui déciderait de rompre un contrat d’agence commerciale pour faute grave de l’agent, d’adresser un écrit à l’agent pour l’informer de la rupture du contrat, et de préciser au sein de ce courrier le manquement grave de l’agent à ses obligations ayant provoqué sa décision. Ce courrier permettra au mandant de pouvoir justifier par la suite le manquement qui a provoqué la rupture, et par voie de conséquence que ce manquement a bien été découvert antérieurement à la cessation de la relation.

D’autre part, cela ne signifie pas non plus selon nous, que l’agent commercial qui aurait commis une faute grave pendant les relations avec son mandant, dont celui-ci n’aurait eu connaissance qu’après la cessation de la rupture, aurait droit à l’intégralité de l’indemnité qu’il aurait pu percevoir, même sans faute grave de sa part. Cela pourrait en effet apparaitre injuste et inéquitable.

Le mandant, pourra toujours, selon nous, faire valoir en défense, son propre préjudice, résultant des actes commis par son agent commercial, et ce afin de tenter de diminuer et réduire, l’indemnité qui devra être allouée à l’agent commercial au titre de la rupture.

3. Troisième et dernier enseignement : le mandant ne peut pas conditionner la communication de certaines pièces comptables à l’agent commercial, aux fins de vérifier les commissions qui lui sont dues.

L’article L.134-6 du code de commerce prévoit la possibilité pour l’agent d’obtenir les commissions pour l’ensemble des opérations conclues grâce à son intervention.

En l’occurrence, pour permettre à l’agent de connaître les ventes réalisées par le mandant et par voie de conséquences les commissions auxquelles il avait droit, il sollicitait communication auprès de son mandant de certaines pièces comptables. La Cour de cassation confirme le droit pour l’agent commercial d’exiger auprès de son mandant cette communication, le mandant ne pouvant pas exiger de sa part que l’agent commercial apporte au préalable la preuve qu’il a, par son activité, contribué à la conclusion par le mandant de nouveaux contrats.


Cet article n'engage que son auteur.
 

Auteur

RAES Marion
Avocate Collaboratrice
CORNET VINCENT SEGUREL LILLE
LILLE (59)
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