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L'action des EHPAD privés contre les obligés alimentaires de leurs pensionnaires

Publié le : 09/03/2020 09 mars mars 03 2020

 En France, plus de 730.000 personnes vivent dans un établissement privé d’hébergement pour personnes âgées (EHPAD). Nombreux sont ceux qui sont dans l’impossibilité d’assumer le coût de ces établissements.


« Moi je connais les vies qui durent un jour. Arriver jusqu’à la nuit, c’est déjà mourir vieux » - Erri DE LUCA
 
 
S’il est constant que les établissements publics de santé disposent d’une action en recouvrement de leur créance (I), les établissements privés pour personnes âgées et dépendantes ou « EHPAD », autrefois simplement qualifiés de « maisons de retraite » disposent désormais d’un recours de nature très voisine, introduit par une loi votée en 2015 (II).

I- L’ACTION DIRECTE EN RECOUVREMENT DES ETABLISSEMENTS DE SANTE PUBLICS

A- Principe

Lorsqu’une personne hospitalisée ne parvient pas à régler sa dette hospitalière (ou n’a pas survécu à son hospitalisation), l’établissement public de santé à la possibilité d’engager un recours contre les débiteurs d’aliments.
 
L’article L.6145-11 du code de la santé publique prévoit que « « les établissements publics de santé peuvent toujours exercer leurs recours, s’il y a lieu, contre les hospitalisés, contre leurs débiteurs et contre les personnes désignées par les articles 205, 206, 207 et 212 du Code civil. Ces recours relèvent de la compétence du juge aux affaires familiales ».
 
L’exercice de ce recours suppose la réunion de trois conditions :
 
  • L’établissement public de santé doit être titulaire d’une créance à l’égard de la personne hospitalisée.
  • L’établissement public de santé doit constater l’insuffisance des ressources du débiteur
  • Il doit prouver l’existence d’une obligation alimentaire aux sens des articles 205, 206, 207 et 212 du Code civil.
 
Un établissement public de santé ne peut légalement émettre un ordre de recettes ou un état exécutoire à l'encontre d'une personne qui ne serait pas au nombre des personnes pouvant être déclarées légalement débitrices sur le fondement des article 205, 206, 207 et 212 du Code civil et prise en sa seule qualité de signataire de l'engagement.
 

B- Destinataire de l’action en recouvrement et compétence de la juridiction

Le juge aux affaires familiales est compétent pour connaitre des actions exercées par les établissements publics de santé contre les débiteurs d’aliments.
 
Le juge aux affaires familiales est compétent pour connaître des litiges relatifs au paiement des frais exposés par des personnes hospitalisées dans un établissement public de santé, lorsqu’ils opposent ces établissements et les personnes désignées par les articles 205, 206, 207 et 212 du Code civil.
 
Aussi, il appartient aux juges des affaires familiales de fixer le montant de la part contributive pour l’avenir des obligés alimentaires en fonction des charges et des ressources dont ils justifieront au jour de l’audience ainsi que des besoins de l’établissement public de santé.
 
D’ailleurs, les obligés alimentaires ne sont débiteurs que des aliments dus à la personne hébergée et non de la créance hospitalière. Il s’agit d’une « action directe exclusive de toute subrogation légale limitativement prévue par l’article 1251 du Code civil » (Cass. civ. 2e, 21 février 1963).
 
Chaque débiteur étant tenu de l’obligation alimentaire proportionnellement à ses ressources. (Cass, Civ, 31 octobre 2007, n°05-21.460)
 
Toute solidarité ou indivisibilité est exclue.
 
En revanche, lorsque l’établissement de santé émet un titre de recette ou un titre exécutoire à l’encontre de la personne signataire de l’engagement d’acquitter les frais d’hospitalisation, le litige relève de la compétence de la juridiction administrative.
 
D’ailleurs, lorsque l'établissement public poursuit le recouvrement de sa créance à l'encontre d'une des personnes désignées par les articles 205, 206, 207 ou 212 du code civil, la signature éventuelle par cette personne de l'engagement susmentionné est sans incidence sur la compétence de la juridiction judiciaire, (CE, 28 juillet 1995, M.K, n°168438).
 
En revanche, relève de la juridiction administrative un litige relatif à la répétition des sommes versées pour le compte d'un patient hospitalisé dans un établissement public de santé sur un autre fondement que l'obligation alimentaire (TC, 24 mars 2003, n° C3343).
 

C- L’adage « aliments ne s’arréragent pas » : obstacle dans le recouvrement des frais d’hospitalisation et de séjours simple à écarter

Cette règle de droit vise à empêcher que le créancier d’aliments demande le versement d’une somme pour la période qui serait antérieure à son assignation.
 
Mais ce principe n’interdit pas de façon absolue de solliciter en justice des aliments pour le passé. Il suffit au créancier, et en l’espèce à l’établissement public de santé, d’apporter la preuve de l’état de nécessité du créancier et la preuve que le créancier n’a pas renoncé au bénéfice de cette créance en apportant la preuve que durant ce temps il n’est pas resté inactif., (Cass. Civ. 3 avril 1990, n°1990-701212).
 

II- L’ELARGISSSEMENT DE L’ACTION EN RECOUVREMENT AUX ETABLISSEMENTS PRIVES SOCIAUX ET MEDICO-SOCIAUX 

A- L’action en recouvrement des établissements privés de santé ayant pour base légale l’article L.314-12-1 du code de l’action sociale et des familles

Le recours des établissements publics n’était pas octroyé aux établissements privés : « le fait qu’un établissement privé soit habilité à assurer l’hébergement de personnes âgées ne l’autorise pas à exercer un recours réservé aux seuls organismes publics », (Cass. civ. 1re, 5 mai 1993).
 
La Cour de Cassation a semblé admettre, un temps, en faveur des établissements privés l’application de l’action de « in rem verso » : leurs impayés pouvaient ainsi être poursuivis contre débiteurs d’une créance alimentaire de leur pensionnaire sur le fondement de ce que « nul ne peut s’enrichir sans cause aux dépens d’autrui » (Cass. Civ, 25 février 2003, n°2003-017896).
 
L’issue pour l’établissement de santé était néanmoins rarement favorable puisque « la mesure de l’obligation des débiteurs d’aliments poursuivis reste déterminée non par la dette de l’établissement restée impayée, mais par la dette alimentaire après toutes les causes de réduction ou d’exonération qui peuvent exister, (Cass. Civ, 14 novembre 2007, n°0621697).
 
Confronté à l’enjeu social, potentiellement explosif, que représente le coût de l’hébergement en EHPAD de personnes âgées de plus en plus nombreuses, et les effets de cette situation sur leur entourage et leur famille, la loi dite « relative à l’adaptation de la société au vieillissement » n°2015-17-76 du 28 décembre 2015 a institué un article L.314-12-1 du code de l’action sociale et des familles prévoyant que :
 
« Les établissements sociaux et médico-sociaux peuvent exercer leur recours, s'il y a lieu, contre les résidents, contre leurs débiteurs et contre les personnes désignées par les articles 205, 206, 207 et 212 du code civil. Ces recours relèvent de la compétence du juge aux affaires familiales ».
Et, l’article L.312-1 du même code de définir ces établissements comme suit : (…)
6° Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale ;
7° Les établissements et les services, y compris les foyers d'accueil médicalisé, qui accueillent des personnes handicapées, quel que soit leur degré de handicap ou leur âge, ou des personnes atteintes de pathologies chroniques, qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale ou bien qui leur assurent un accompagnement médico-social en milieu ouvert ;
8° Les établissements ou services comportant ou non un hébergement, assurant l'accueil, notamment dans les situations d'urgence, le soutien ou l'accompagnement social, l'adaptation à la vie active ou l'insertion sociale et professionnelle des personnes ou des familles en difficulté ou en situation de détresse ;
 
Il en résulte la possibilité pour des EHPAD, établissements privés de plus en plus confrontés à d’importantes situations d’impayés, d’agir directement à l’encontre des obligés alimentaires de leurs pensionnaires défaillants, que ceux-ci soient encore en vie ou décédés.
 

B- Les réactions jurisprudentielles concrètes

C’est par exemple le sens d’un arrêt récent de la Cour de cassation du 26 juin 2019 (civ. 1ère, 18-15754) permettant à un établissement privé d’agir sur ce fondement.
 
Si les juridictions du premier degré n’ont pas manqué de manifester une certaine résistance quant à cette solution encore très peu documentée en jurisprudence, la Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, par exemple et tout dernièrement, a bien validé cette approche par un arrêt du 30 janvier 2020 (n°2020/17) condamnant à paiement l’obligé alimentaire d’un pensionnaire décédé, et ce malgré une renonciation préalable à succession.
 
La limite à ce recours demeure néanmoins, très classiquement, la balance entre la situation de besoin du créancier d’aliments et la situation de fortune de son débiteur, permettant à celui-ci de n’être tenu qu’au paiement d’une partie des arriérés, celle raisonnablement correspondante à sa situation de fortune personnelle.
 
Très concrètement, il doit être rappelé que les petits-enfants doivent, eux aussi et en principe, des aliments à leurs grands-parents : il pourrait en résulter l’action, devant la juridiction familiale, des EHPAD aux fins d’obtenir, auprès des petits-enfants, le paiement de diverses sommes, et l’on ne peut qu’imaginer, dans des contextes émotionnels et familiaux très complexes, les effets délétères d’une telle généralisation.
 
Si l’action contentieuse est parfaitement incontournable face à des situations de blocages familiaux et patrimoniaux qu’un EHPAD est parfaitement impuissant à résoudre sans un tel recours, l’expérience milite pour la nécessité de professionnaliser la contractualisation de l’hébergement en EHPAD, en y incluant, par exemple, toutes sortes de garanties (et notamment un mécanisme de cautionnement).
 

Pascal ZECCHINI
Avocat au Barreau de TOULON
Avec la participation de Aude MAYOUSSIER
Elève-avocate


Cet article n'engage que ses auteurs.
 
 

Auteur

Pascal ZECCHINI
Avocat Associé
CLAMENCE AVOCATS
TOULON (83)
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